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pour les régions montueuses. Ses longues pâtes et le volume de son corps le rendent aussi peu propre à gravir une montagne, qu’à la descendre; à franchir un ravin, qu’à traverser un torrent. Aussi, cet animal, si apprécié dans l’Arabie et les vastes plaines de l’Afrique, est-il dédaigné par les habitants de Barcah. Ils n’estiment que les chevaux, et sans doute avec raison, puisque, quelque dégénérés que soient les leurs de la race antique célébrée par Pindare, ils ont peut-être gagné en utilité ce qu’ils ont perdu en grâce et en légèreté. Monté sur son cheval, l’Arabe de Barcah parcourt tous les cantons de sa contrée; il visite les lieux les plus escarpés, et côtoie sans crainte d’affreux précipices. On ne guide point le cheval, la bride tombe sur son cou; il choisit lui-même ses pas : le sentier est presque perpendiculaire ; la pluie en rend la roche glissante ; mais l’adroit animal grimpe, saute, et ne s’abat jamais. Ce n’est point encore ici le lieu de traiter ce sujet; j ’y ai été entraîné malgré moi; mon inexpérience en est la cause. Cette inexpérience me porta à conduire dans la Pentapole les mêmes dromadaires qui m’avaient servi dans les déserts des Oasis. Je ne présenterai point pour excuse mon affection pour ces anciens compagnons de voyage; cette raison, peu goûtée de la plupart des lecteurs, entraînerait une digression fort inutile, après celle-ci qui ne l’est guère moins, et que je termine enfin par ce qui aurait dû la remplacer. Durant toutes mes courses dans la région septentrionale de la Pentapole, j ’empruntais des chevaux de la tribu auprès de laquelle je me trouvais. Le propriétaire m’accompagnait et me servait aussi de guide. Ce fut ainsi que je quittai ma caravane pour me rendre dans le golfe Ilal-al. Désirant moins d’avancer rapidement dans ces cantons montueux, que d’en connaître les diverses parties, je me dirige vers le littoral, mais en rétrogradant de nouveau vers l’est. Cette direction, d’ailleurs motivée, prolonge mes plaisirs en variant à chaque pas les sites. Je croise les flancs inégaux et partout boisés des hautes terrasses qui longent le nord de la Pentapole. Ici point de plaines étendues, point de vallées légèrement ondulées : je me trouve alternativement, ou dans le fond d’un profond ravin, ou sur le sommet d’une haute colline : je parcours des sentiers ornés d’arbustes élégants, ou bien je traverse de noires forêts. Ajoutant la bizarrerie de mes goûts aux caprices de la nature, j ’aime à franchir chaque obstacle, à atteindre à chaque lieu escarpé. Par la seule raison que tel endroit paraît inaccessible, il attire ma curiosité. Je passe indifférent devant mille excavations où je puis.pénétrer sans difficulté; mais il suffit que j ’aperçoive au sommet d’un rochér abrupt une anfractuosité ténébreuse, offrant quelque indice des temps antiques, aussitôt mon imagination s’irrite; ce lieu en devient plus intéressant à mes yeux. En vain un torrent se précipite en bouillonnant à ses pieds, l’agile cheval de Barcah le franchit aisément; j ’escalade ensuite le rocher : des touffes de térébinthes et de lentisques, les troncs noueux des genévriers m’aident à grimper, et j ’arrive enfin à la grotte. Si rien de nouveau ne récompense mes peines, j ’en suis dédommagé par l’aspect toujours varié que me présente la naturelles douces émotions qu’elle me cause valent bien les découvertes de l’art. Dans l’inextricable labyrinthe de vallons sinueux et de gouffres profonds que je traversai durant cette promenade, les méprises de ce genre furent nombreuses. Le plus souvent, après avoir franchi bien des pas dangereux, je ne trouvais que les ruines du temps, au lieu des traces du séjour des hommes; c’étaient des rocs bouleversés ou des cavernes tortueuses qui se perdaient dans la montagne. A mon approche de ces lieux , il en sortait l’aigle ou le vautour effrayés de mon apparition dans leur asile aérien. Mais une fois ce fut une petite niche creusée isolément dans la paroi d’une roche. Le fond en était tapissé de lierres rampants qui détachaient par leur teinte rembrunie des bouquets de giroflée d’un jaune d’or, des cystes à grande fleur rose, et les corymbes arrondis de blancs alyssons. Ces plantes saxátiles croissaient ensemble au milieu de la niche, comme dans un vase que l’on aurait dit placé par une combinaison de l’a rt pour orner la nudité de la roche, si l’art toutefois pouvait jamais imiter les grâces de la nature. Cependant, ces courses , toujours agréables par elles-mêmes, furent aussi quelquefois fructueuses pour la connaissance des usages antiques. Tantôt je rencontrai de petites excavations sépulcrales creusées isolément çà et là dans le flanc des ravins. Ces paisibles retraites, destinées à ne contenir que les restes d’une seule personne, se trouvent comme suspendues sur un torrent mugissant, ou voilées à demi par des rideaux de cyprès. Ces localités, bien appréciées sans doute par les anciens habitants, produisent un effet mélancolique et moral : elles présentent l’image du repos dominant


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