Page 92

27f 59

pratiquées un grand nombre d’excavations sépulcrales. Les bassins circulaires que j ’ai fait remarquer à Maârah se voient de même ici, et dans un état parfait de conservation. Ils sont placés immédiatement au-dessous des sarcophages taillés dans les parois des grottes à quelques pieds au-dessus du niveau du sol. Cette position, et le ciment rougeâtre dont ils sont aussi enduits, confirment mes premières conjectures et ne me laissent plus aucun doute sur ce sujet. Continuons à pénétrer dans l’ouest. D’autres ruines, MeUar-Arch, viennent frappèr mes regards; j ’y trouve encore l’indispensable petit château au milieu de quelques pierrailles éparses, restes d’un ancien village ; et rien de plus intéressant, En général, ces sortes de ruines se ressemblent tellement, qu’elles ne diffèrent entre elles que de nom et de situation : aussi, le voyageur jette un coup-d’oeil sur ces tristes squelettes, et, poursuivant aussitôt sa route, il se hâte d’aller chercher ailleurs d’autres aliments à sa curiosité. Mais bientôt un nouveau caractère du sol de la Pçntapole mç dédommagea de la monotonie des monuments. Un vaste rideau d’arbousiers couvre toute la plaine devant nous, et s’étend fort loin des deux côtés de notre horizon. Le beau feuillage de cet arbuste, la couleur purpurine de son tronc, la forme gracieuse de son port, plaisent à la vue. C’est un doux obstacle à franchir : les chameaux, trompés par l’apparence, hâtent le pas ( i); ils s’enfoncent dans le feuillage; leur tête laineuse dépasse seule les arbrisseaux; ainsi caché, le sobre habitant des sables de Libye a l’air de nager dans une mer de verdure. A cet aspect inattendu, au frémissement des feuilles, au craquement ■des jeunes branches, cet immense bosquet, naguère si paisible, et que nous aurions cru inhabité, retentit tout-à-coup de mille cris d’alarme; ses hôtes craintifs s’enfuient de tous côtés : les gazelles, toujours légères, se hâtent de regagner la plaine; le lièvre passe presque inaperçu; e t, tandis que des nuages de pigeons blanchissent les airs, des bandes de grasses perdrix rasent lourdement le bosquet, et, s’y enfonçant de nouveau à une petite distance, elles retrouvent leur paix un instant troublée. Un amateur de gibier, et surtout un chasseur, ne se serait point contenté comme moi d’examiner toutes ces belles choses;.il en aurait fait (i) Les chameaux ne mangent point le feuillage de l’arbousier. son profit. L ’empereur Adrien était certainement de ce nombre; mais quelque zèle qu’il eût pour cet exercice, je ne pense point, comme M. Della- Cella, qu’il faille étendre jusqu’en Cyrénaïque les parties de chasse que cet empereur, au rapport d’Elien, faisait en Libye durant son séjour à Alexandrie. Les lièvres et les gazelles de la Marmarique devaient sans doute suffire à ses plaisirs, sans traverser un pays de cent cinquante lieues d’étendue, pour, courir après les perdrix et les pigeons de la Pentapole. Après que nous eûmes franchi ce vaste bosquet d’arboursiers, nous nous trouvâmes avec surprise vis-à-vis des ruines d’une ville assise sur le penchant d’une colline. Nous étions à cette heure du jour où le soleil, près de disparaître de l’horizon, ne jette plus sur la terre qu’une lumière inégale , occasionne ici d’épaisses ténèbres, et répand plus loin un mourant éclat. Dans ces moments on se livre en tous lieux plus aisément aux impressions. Cette lutte des ombres et de la lumière séduit les yeux par les émotions de l’ame, et change la perspective des objets en variant leurs formes. Mais c’est surtout en visitant une contrée peu connue, et illustrée de même que laissée par l’histoire dans le vague du mystère, que l’on cède facilement dans ces moments à ces illusions trompeuses. C’est alors que l’imagin&tion crédule croit entrevoir de grands monuments, des merveilles antiques, là où il n’existe en réalité que des pans de murs et des pierres éparses, mais qu’enveloppent à demi les ombres de la nuit. Tel fut l’effet que produisirent sur moi, au premier aspect, les ruines de Lameloudèh. Cet effet toutefois serait peu susceptible d’en donner une idée fi dèle. J’attendrai que la lumière du jour ait désenchanté ces lieux pour les décrire, et je profiterai de cet intervalle pour revenir sur mon compagnon de voyage que j ’ai laissé malade à Derne. Depuis mon départ de cette ville, M. Müller m’avait écrit plusieurs fois que sa santé s’était améliorée, et qu’il désirait me rejoindre. Cependant les intempéries de la saison rendaient le désert de Barcah pénible à parcourir ; les pluies étaient continuelles, et les orages se succédaient presque chaque jour. La santé la plus robuste, soutenue par. le mépris des souffrances, pouvait à peine résister à ces courses aventureuses ; comment une personne épuisée par une longue maladie aurait-elle pu les supporter ? Telles furent les raisons que j ’exposai à M. Müller; mais ses instances


27f 59
To see the actual publication please follow the link above