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corations, ou pour mieux dire, ces dégradations barbares, n’appartiennent au moyen âgé, à ces premiers Chrétiens qui multipliaient partout les. symboles d’une religion naissante. Les plus spacieuses de ces grottes paraissent avoir été changées à cette époque en chapelles;et les autres, offrant dans leurs détails plusieurs points d’analogie avec les catacombes égyptiennes, continuèrent de servir de tombeaux. Des statues, et des lampes funéraires furent sans doute placées dans ces trous de diverse grandeur, creusés par la piété ou par les regrets des familles désolées. Par la suite, les images des saints et des saintes confondues dans les champs1 avec les restes mutilés, des dieux du paganisme, contribuèrent ensemble à accréditer chez les Arabes et chez quelques Européens non moins crédules la singulière tradition d’une ville pétrifiée. Quoique ce soit anticiper sur les résultats d’observations ultérieures, néanmoins, puisqu’une erreur notoire ne saurait être assez tôt réfutée, je vais en développer la cause, sauf à indiquer dans la suite les autrfes lieux qui ont contribué à m’en fournir les moyens. M. Lemaire n’est point le premier qui ait répandu en Europe la tradition d’une ville pétrifiée. Yakouti avait dit, dès le quinzième .siècle de notre ère, qu’il existait à l’orient du Nil une grande ville ancienne, En- sana, dont les habitants avaient été changés en pierre, et conservaient les différentes attitudes dans lesquelles ils avaient été surpris lors de leur subite métamorphose (i). D’autres historiens orientaux ont fait des contes pareils sur les environs de Cyrène; et des savants, ne pouvant avec raison y ajouter foi, leur ont cherché une interprétation malheureusement peu vraisemblable (2). Ils ont attribué la cause de ces récits aux stalactites et aux diversespétrifications que l’on trouve, il est vrai, dans les excavations de Cyrène, et dans le reste de la Pentapole, mais dont le petit volume et la configuration toujours cylindrique ne.pouvaient produire un effet aussi merveilleux sur l’imagination desArabes, quelque facile qu’elle soit à céder aux illusions. Shaw.paraît avoir copié littéralement le récit d’Yakouti; (1) D e Guignes , dans les Notices et Extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, t. I I , p. 425.' (2) Histoire de l’Académie des Inscriptions, t. VII, p. 224. mais il place, d’après un ouï-dire, sans toutefois y croire, la prétendue ville pétrifiée à Ras-sem (r), station que l’on trouve au milieu des sables, entre Ben-Ghazi et Audjelah, et que j ’ai visitée. Enfin le P. Godefroi et autres missionnaires prolongent la situation de cette ville à vingt journées au sud de Ben-Ghazi, et ajoutent que «toutes choses y avaient été con- « verties en pierre par châtiment de Dieu (2). » Ce dernier renseignement,.si ridicule au premier abord, devint cependant précieux pour moi, puisqu’il contribua à me donner la clef de cette bizarre tradition provenant, comme l’on vôit, de lieux si différents, et accompagnée cependant des mêmes circonstances. Ce fut aussi avec des motifs semblables à ceux allégués par le P. Godefroi, que les Arabes me parlèrent des villes pétrifiées, car ils en connaissaient plusieurs. Massakhit était de ce nombre; et l’on juge quel fut mon empressement à m’y rendre, pour connaître la cause du grand miracle. Cependant, comme je n’apercevais rien de surnaturel parmi les ruines que j ’examinais, et que je témoignais mon désappointement à mes guides ; ils me firent alors jeter les yeux sur des fragments de statues épars dans les champs, et me dirent qu'autrefois il en existait un grand nombre d’intactes; puis, ils ajoutèrent: «Voilà « les hommes qui, par punition de Dieu, ont été changés en pierre, » A ces mots, je ne pus retenir, je l’avoue, un éclat de rire, en pensant combien les traditions populaires les plus absurdes font quelquefois rêver gratuitement de graves érudits. Il est inutile que j ’entre dans de plus longues explications; celle-ci suffit pour résoudre le problème. Dans tous les lieux où ces hommes crédules ont vu un grand nombre de statues, ils ont fait de ces lieux autant de villes pétrifiées,- et les ont appelés indistinctement Massakhit, pluriel de masskoutah, statue, configuration humaine. Ainsi, plusieurs ruines dans la Cyrénaïque portent le même nom par la même cause. Ainsi, le monument romain couvert de bas-reliefs, que l’on trouve à Ghirza (3), nommée aussi Massakhit par les Arabes de Barcah, explique la ville pé- (1). Voyages de.Shaw, t. I I , p. 84. (2) État du royaume de Tripoli, p. 48. (3) Voyage dans l’Afrique centrale, par MM. Denham et Clapperton, traduction française; Atlas, pl. VII, VIII.


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