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ou de plusieurs métiers de tisserand parfaitement semblables a ceux des hameaux de la Provence. Leur situation, qui domine le vallon et les autres villages de Derne, en refid le coup-d’oeil très-animé. J’y faisais de fréquentés promenades; je me plaisais à m’arrêter devant ces ateliers; j ’y voyais les deux sexes s’occuper indistinctement à ourdir la laine ou le chanvre. Les jeunes gens étaient toujours assis les uns vis-à-vis des autres ; ils s’animaient mutuellement au travail par des chants; je surprenais parfois leurs regards d’intelligence ; et tandis que la navette parcourait rapidement le tissu, les échos répétaient au loin leurs chants sauvages, mais agréables en tous lieux, lorsque dans les premiers âges de la vie ils peignent l’amour ou l’espérance. On. voit encore, aux environs de Derne, d’autres excavations a peu près semblables aux précédentes. De ce nombre il faut toutefois excepter celles que l’on trouve à dix minutes environ à l’est de la ville. Celles-ci ; nommées Kennissièh (les églises), sont situées au sommet des rochers escarpés qui bordent cette partie du littoral, et contre lesquels viennent se briser les flots de la mer. Les anciens y avaient pratiqué des escaliers ; on les retrouve encore par intervalles ; mais l’eau qui suinte des fentes de la roche, la tapisse de longues bandes d'hépatique et de mousse qui en rendent l’accès glissant et même dangereux. Des touffes de plantes ligneuses aident toutefois à franchir ce passage, et l’on arrive sur une petite esplanade semi - circulaire autour de laquelle règne un banc peu élevé, destiné à servir de repos aux familles de Darnis, qui venaient acquitter dans ce lieu leurs devoirs funèbres. Ce long banc est interrompu par l’entrée des grottes (Voy. pl. V I I ) ; il ne contourne que l’intérieur de la plus grande, ancien sanctuaire changé par la suite en chapelle chrétienne. Quant aux autres, elles furent toutes des tombeaux ; l’irrégularité de leur situation et l’inégalité de la roche en rendent l ’aspect pittoresque. On y voit des voûtes et des niches de toute forme et de toute dimension, depuis le plein cintre romain jusqu’à l’ogive parfaite du moyen âge. L à , comme dans le reste de la Pentapole, on voit les travaux du christianisme entés sur ceux de l’idolâtrie. Des lampes funéraires furent placées par des Chrétiens sur les tombeaux des Grecs et des Romains. Le même cércueil servit à plusieurs générations ; la même enceinte retentit de langues diverses exprimant des religions différentes: et .cependant les prières furent toujours les mêmes, les symboles seuls en étaient changés. Mais ces voûtes, autrefois sombres et lugubres, maintenant crevassées par lë temps, sont la plupart éclairées du soleil. Les hommes des divers âges ont disparu ; leurs ossements mêmgs sont devenus la proie des vents. La nature a chassé de ces lieux toute image de deuil : elle a placé des guirlandes de vertes capillaires là oû étaient suspendus les crêpes funèbres; elle a tapissé de mousse la pierre usée par la prière ; elle a couvert les parois de la roche de belles grappes de plantes saxátiles sans .cesse agitées par les brises marines. L ’oiseau voyageur, fatigué de sa longue coursé, vient se reposer sur leurs rameaux fleuris, et salue la terre par ses chants d’allégresse. Ainsi, rien ne troublerait désormais cette aimable solitude, rien n’y rappellerait sa primitive destination, si le bruit sourd des vagues irritées et la clameur des orages, pénétrant parfois dans ces caveaux, ne leur rendaient les voix lamentables et les anciens gémissements.


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