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raient jamais été capables de créer cette meryeille, et il a fallu même employer à son exécution des ouvriers étrangers, La population de Derne est composée d’Alexandrins, de Barbaresques, ■ et de quelques familles du Fezzan qui sont venues s’établir dans cette ville depuis la conquête de leur pays par le pacha de Tripoli. On y trouve aussi des Juifs, ce qui n’est point extraordinaire, puisqu’on en trouve partout; mais, selon les villes qu’ils habitent en Orient, ils sont plus ou moins heureux, plus ou moins avilis. On n’est point surpris d’en voir un si grand nombre au Caire. Ils y ont un quartier séparé, fort obscur et fort sale, il faut l’avouer : mais ce quartier, très-étendu, forme du moins une peuplade à part ; ces dehors de misère cachent des maisons commodes où l’industrieux S a ra f{ i) quitte, le soir, ses vêtements de couleur obscure et revêt d’éclatants habits. Rentré au milieu des siens, il se retrouve dans Israël, et dans l’intimité de ses amis, dans les caresses de sa famille ; il se ■ dédommage de la contrainte et du mépris qu’il a subis durant la journée. Mais comment des Juifs peuvent-ils habiter ces petites villes où ils sont d’autant plus maltraites, qu’ils sont plus-isoles; ou ils endurent de plus grands affronts que les premiers, sans jouir du plus faible de leurs dédommagements? On les insulte, et ils se taisent; on leur crache auvisage, et ils baissent lès yeux ! J’en témoignai un jour vivement mon indignation à Hadji-Hamedèh, et je lui demandai ironiquement pourquoi des hommes traités plus inhumainement que des bêtes ne désertaient point ce pays ? « Ils y sont nés, me répondit-il froidement, et ils y restent. » Je conçois que l’amour du pays natal puisse rendre habitables les sables du désert; l’homme s’y trouve soumis à toutes sortes de privations; il lutte de patience et de sobriété avec le plus patient et le plus sobre des animaux; mais il y jouit de l’indépendance. Ornée de ce-don ineffable, sa hutte modeste, brûlée par le soleil et entourée de solitudes silencieuses, vaut bien un palais, des berceaux de verdure, et des ruisseaux limpides qu’entourerait aussi le silence, mais le silence de la crainte. Quelle est donc la puissance qui peut attacher des êtres dégradés auprès de leurs vils tyrans? Quel charme peut leur faire aimer le sol où ils (i) Changeur. sont nés, il est vrai, mais où ils traînent leur ignominie? L ’amour de l’or, me répondra cet autre : ils trompent ceux qui les méprisent ; ils sont couverts de haillons, mais ils cachent des trésors ; ils sont avilis, méprisés, mais ils sont riches. Étouffons, il le faut, la foule de réflexions affligeantes. qui naissent d’un pareil sujet, et continuons notre récit. Deux villages de Derne, ElrDjébeU et Mansour-el-Fokhâni, sont construits auprès ou immédiatement au-dessus d’anciennes grottes sépulcrales. Cette contradiction dans les moeurs de Musulmans vient de la grande utilité que leur ont offerte dans cette contrée pluvieuse les excavations dans la roche. Ainsi, sans trop s’inquiéter si ces excavations contenaient autrefois des cadavres d’infidèles, ils en ont profité pour en faire les greniers de leurs maisons, ou les ateliers de leurs modestes manufactures. Cet usage provient aussi de ce que ces grottes ne leur ont point présenté de ces nombreuses subdivisions, ni de ces anfractuosités ténébreuses où ces hommes-enfants croient entendre des voix magiques et voir des spectres épouvantables qui leur en interdisent l’accès. En effet, aucune de ces grottes n’est subdivisée en plus de trois pièces, et la plupart n’en forment qu’une seule. Elles reçoivent toutes la lumière par une entrée carrée placée horizontalement, qui en éclaire toutes les parties. Comme objets d’a r t , elles n’offrent rien de remarquable : à l’extérieur de même qu’à l’intérieur, elles sont dépourvues d’inscriptions et de tonte espèce d’ornement. En général, elles sont même d:un travail grossier ; on remarque dans toutes, à leurs parois, des excavations cintrées destinées à servir de sarcophage. - Les habitants de Djébeli construisirent leurs maisons de manière que ees grottes se trouvassent dans l’enceinte. Ils y déposaient le fruit de leurs récoltes: Le ciel pluvieux de la contrée et le système d’architecture orientale donnaient à cet usage un effet inverse de celui que nous avons en Europe : chez eux la cave servait de grenier. Ce village est maintenant presque entièrement abandonné ; la peste qui s’y est une fois introduite, et les dissensions des habitants, en sont la cause. Les grottes de Mansour^êl-Fokhdni sont creusées dans le flanc de la montagne, dont la roche est tantôt nue et tantôt couverte de tapis de verdure. Les plus grandes ont été converties en ateliers, composés d’un i 4.


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