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environs, font fréquemment des voyages et osent même pénétrer dans les forêts de Barcah, pour vendre des marchandises à leurs hôtes récalcitrants. Mais tous sont indistinctement soumis à la loi du sang, et se font de village à village, comme dans le désert de tribu à tribu, des guerres d’autant plus durables que la cause s’en renouvelle sans cesse, mais que l’on peut toutefois comparer à des fièvres qui ont de courtes intermittences après de violents accès. Les maisons de Derne sont toutes construites en pierre; celui qui vient d’Égypte les trouve généralement bien bâties, et entretenues avec propreté. Leurs entrées semblent même offrir une trace sensible du goût des anciens habitants de la Pentapole. Elles sont presque toutes formées de deux pilastres à chapiteaux imitant grossièrement le style dorique; la roche en est d’un calcaire très-blanc et très-friable; ce qui en facilite le travail et les détache agréablement du reste de l’enceinte. Ces portes se trouvent souvent placées aux deux tiers de la hauteur de la maison : un escalier saillant y conduit ; il est ordinairement couvert de treilles qui, dans les chaleurs de l’été, permettent aux habitants de goûter, sans sortir de chez eux, leur suprême bonheur, celui de savourer le frais à l’ombre d’un bel arbuste, et d’en manger nonchalamment le fruit. Dans le village central, presque toutes les maisons ont leur jardin clos de murs ou d’une haie de nopals. On y trouve encore la vigne, formant avec ses lianes flexibles et ses larges feuilles, d’agréables berceaux et de fraîches allées. Les pêches, les'grenades, les figues, les pommes, les oranges, les olives, les mûres et les bananes; et parmi lès plantes herbacées, les melloukhièh et les bammièh d’Égypte; les tomates, les pois, les fèves, les concombres et d’énormes citrouilles, croissent pêle-mêle dans ces jardins. Au milieu de ces productions, dont la plupart sont communes a la Provence, je me serais cru dans ma patrie, si le palmier du désert, élevant son dôme solitaire au-dessus des arbres de mon pays, ne m’eût aussitôt rappelé que j ’étais en Libye. Deux sources abondantes, que Della-Cella nomme si plaisamment des prunelles ( i) , jaillissent des flancs exhaussés du vallon de Derne, et, (i) La cause de la méprise de ce voyageur vient de ce qu en arabe le mot ain signifie également oeil et source (Voyez Gonius), E T L A C Y R É N A ÎQ U E , . s99 chacune côtoyant une de ses rives, elles se trouvent partagées entre les différents villages dont elles arrosent en été les jardins. A ces avantages accordés par la nature, les habitants joignent une activité remarquable chez des Orientaux. Les rives du vallon sont généralement abruptes et rocailleuses ; néanmoins, partout où l’on y trouve un peu de terre, elle est étaÿée par des murs ; ce qui forme autant de petits champs couyerts d’arbres fruitiers , s’élevant les uns au-dessus des autres. De gros rochers s’avancent parfois des deux rives ; ces masses énormes se dérobent à l’industrie des agriculteurs ; mais s’ils interrompent la continuation de leurs champs, c’est pour les embellir: du sein de leurs anfractuosités humides, on voit sortir des touffes de figuiers sauvages, d’oliviers et de caroubiers, d’où s’élancent encore les tiges isolées de palmiers dont les cimes, semblables à de grands panaches, flottent- sur ces bosquets aériens, et contrastent ayec eux de forme, de couleur et de direction. Au-dessous, le lit du torrent est en plusieurs endroits totalement couvert d’un épais taillis de nérium; les belles et grandes corolles de cet arbuste se trouvent comme froissées au milieu des branches errantes des ronces épineuses. Des filets d’eau se détachent çà et là dès ruisseaux qui longent les rives du vallon aux deux tiers de leur hauteur ,, et forment d’étage en étage, ou de rocher en rocher, de petites cascades qui joignent leur bruit harmonieux à l’aspect pittoresque du tableau. Puisque ces lieux, ornés par la nature seule, sont attrayants; de quelles grâces ne, seraient-ils point doués, quelles ressources ne présenteraient-ils point s’ils étaient au pouvoir d’Européens? L ’industrie des habitants actuels est louable sans doute ; mais c’est toujours de l’industrie musulmane. Les Américains, durant leur séjour à Derne, profitèrent des chutes d’eau dans ce vallon pour y établir un moulin. Il est peu de machines hydrauliques moins compliquées; néanmoins le génie des habitants se borne à entretenir celle-ci en activité, sans chercher à l’imiter et à la multiplier dans le canton. Il en est de même d’un aqueduc construit récemment par les ordres d'Hammet-el-Gharbi, sur le ravin el-Brouès qui interrompait la circulation du ruisseau Bou-Mansour (Voy. pl. VIII ). Les Dernois n’au- i. 14


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