Page 77

27f 59

saires. Toutefois, ne me sentant point la force de me traîner constamment sur ces landes de détails sans couleur et de descriptions sans v ie , je quitterai quelquefois la livrée de la science pour me rapprocher de la nature. Me délasser de mes fatigues sera mon seul objet-: il est donné à tout le monde de coudre des faits et de balbutier l’érudition; mais il faut de vrais talents pour intéresser en suivant une autre route. Cependant, tout était préparé dans le château, pour recevoir convenablement les autorités qui m’avaient prévenu de leur visite officielle. Dans les petites villes de l’O rient, les moindres événements occasionnent un grand appareil et des formes graves, auxquels un voyageur doit se conformer, s’il veut réussir dans ses entreprises. Autant l’Arabe du désert est simple dans ses moeurs, autant il fuit la pompe des représentations , autant l’habitant des villes les recherche-, et paraît en être ébloui. Le premier, s’isolant dans les vastes solitudes, agrandit, pour ainsi dire, son être avec elles; et, régnant en souverain dans sa tente, il accueillerait avec un sourire ironique l’Européen qui étalerait à ses yeux le luxe vaniteux du costume, ou qui établirait dans son camp la ridicule ostentation d’un divan. Le second, au contraire, enchaîné dans Les liens d’une demi-civilisation, et habitué à humilier son front dans la servitude, se repaît du spectacle des richesses, et paraît toujours prêt à combler d’égards celui qui en porte les insignes. Ce fut en considération de ces raisons, que, réfléchissant à l’influence que pouvaient avoir, sur la réussite de mes projets, les résultats de la visite qu’on m’avait annoncée, j ’essayai d’étaler autour de moi les dehors pompeux d’un étranger recommandé par le pacha d’Egypte. Le plus grand embarras était dans le petit nombre de mes domestiques, et surtout dans leurs occupations habituelles, peu propres à faire ressortir l’éclat d’un personnage de quelque importance. Fort heureusement qu’ils secondèrent de tout leur pouvoir mes intentions. Les deux Nubiens, armés de pied en cap, saisirent cette occasion pour jouer le rôle de chiaous. Le cuisinier, ou pour mieux dire le fae-totum de la caravane, Syr ien 'd’un esprit très-borné, revêtit l’habit de mamelouk, et prit, autant qu’il en était capable, le maintien et le ton d’un drogman. Tandis que les deux chameliers Fellahs, s’efforçant de dégrossir leurs manières rustiques, furent métamorphosés, l’un en seys, palefrenier, et l’autre en kafdji/ 'porteur de café. Moi-même, quittant aussi mes habitudes' du désert, je me parai d’un riche costumé, réservé pour les grandes occasions; et assis sur un divan, avec M. Millier, mon oukhil, lieutenant, nous attendîmes avec toute la gravité orientale les autorités de la ville. Cette gênante représentation ne fut pas de longue durée. Le piétinement des chevaux ne tarda point à nous annoncer la visite solennellement attendue; et, un instant après, les mêmes personnes 'qui nous avaient introduits à Derne, vinrent successivement occuper les places dues à leur rang. Hadji-Hainedèh, chargé de pouvoirs à'Ham.met-el-Gharbi, prit aussitôt la parole, et s’adressant aux personnes qui nous entouraient, il leur raconta fort longuement que long-temps avant mon arrivée, des lettres d’Alexandrie lavaient informé de mes projets et de l’intérêt qu’y prenait le pacha d’Egypte ; et que j ’étais porteur d’une lettre de ce p rince, par laquelle il recommandait mes entreprises et ma personne à la protection de leur souverain, lousouf. Je confirmai, en peu de paroles, le prolixe, mais très-officieux discours A'Hadji-Hamedèh, et j ’ajoutai que très-reconnaissant de l’hospitalité qu’on m’avait si généreusement accordée, je ne voulais point en abuser. Je me proposais, par conséquent, de me rendre sous peu de jours aux ruines de Grennah, principal objet de mon voyage. C’était l à , comme je m’en doutais, le point le plus scabreux de la délibération, et je fus droit au but sans autres précautions oratoires. Il n’en fut pas-de même des rusés diplomates <pii m’entouraient : ils s’écrièrent tous à la fois, qu’ils ne pouvaient consentir à mon départ. Le désert, me dirent-ils, était si infesté de brigands, que je ne pouvais y pénétrer sans courir les plus grands dangers. Les lettres dont j ’étais porteur leur imposaient l’obligation de veiller sur ma personne, et ils s’acquitteraient scrupuleusement de ce devoir, à moins qu’ils n’en fussent affranchis par des ordres spéciaux du pacha ou du bey. On m’assura, d’ailleurs, que je jouirais de la plus grande tranquillité dans la ville; je pourrais même, si cela me convenait, en parcourir librement les environs, accompagné d’une garde de sûreté. En un mot, il eût été impossible d’employer de plus adroites circonlocutions pour m’intimer i 3.'


27f 59
To see the actual publication please follow the link above