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9o" V O Y A G E D A N S L A M A R M A R IQ U E servent à draper. le ihram de différentes manières, de même que par l’éclat des couleurs elles en varient la simplicité. Le sabre, de forme perpendiculaire, pareil à ceux du temps de la chevalerie, était suspendu en bandoulière dans un fourreau en argent massif, présent que le souverain est tenu de faire aux sous-officiers, lorsqu’il les revêt de leurs fonctions. Pour donner une idée complète de leur équipement, je ferai encore mention de bottines de peau rouge, souples comme des bas et chaussées dans de larges pantoufles jaunes, et enfin d’un petit tromblon dont l’orifice est évasé en forme de trompette. Cette arme, lourde et gênante, remplaçait chez eux le fusil; ils la tenaient appuyée sur le pommeau de la selle, et elle s’y trouvait attachée par un cordon de soie, de manière qu’elle pût y demeurer suspendue après avoir été déchargée. Ces cavaliers, dont la mission était de nous escorter, nous engagèrent, dès que nous eûmes descendu la montagne, à nous reposer auprès d’un bouquet d’opuntia, pour attendre les principales aütorités de Derne, qui voulaient, d iren t-ils, nous introduire convenablement dans la ville. Bientôt arrivèrent en effet le lieutenant du bey, son chiaous, l’écrivain en chef, le chargé d1 affaires A' Hammet-elrGharbi, et les autres principaux habitants, que suivaient encore une infinité de personnes de tout âgej attirées par le spectacle, nouveau pour ellesj de voir des Européens habillés à l’arabe, arrivant dans leur ville par le désert. Nous nous mîmes aussitôt en marche, traversant de petites rues, ou, pour mieux dire, des sentiers bordés de jardins et de maisons distribués d’une manière irrégulière, mais agréable. Les portes et les fenêtres étaient, la plupart, ornées de treilles dont le verdoyant feuillage servait de voile aux jeunes femmes qui ne pouvaient, ainsi que les hommes, satisfaire librement leur curiosité pour nous voir passer. Dès que nous fûmes arrivés au centre de la ville, nous fûmes introduits dans le château qu’occupait autrefois Mohammed-bèy, fils du pacha de Tripoli, et que l’on mit entièrement à ma disposition. Après cette bienveillante réception, les officiers qui nous avaient accompagnés se retirèrent successivement ; ils renvoyèrent au lendemain le soin de traiter, en grand divan, des affaires qui m’attiraient dans leur contrée. Toutefois, pour assurer momentanément notre tranquillité, ils firent publier à haute voix , à la porte même du château, que la ville nous accordait l’hospitalité, et que chacun devait nous respecter comme des hôtes bien venus. Peu de temps après, des esclaves nous apportèrent toutes sortes de rafraîchissements. Je fis placer une natte sur la plus haute terrasse de notre nouveau domaine; et, de ce point élevé, portant alternativement- mes regards sur la cime des monts de la Pentapole, au pied desquels je me trouvais, et sur mes domestiques, qui, pleins de joie, se félicitaient mutuellement de leur heureuse arrivée; me trouvant si près de l’objet de mes recherches, et jouissant à la fois du contentement de mes compagnons de voyage, je me livrai un instant à de douces rêveriés. Si je ne m’étais imposé le devoir de ne jamais entretenir long-temps le lecteur de ce qui m’est tout-à-fait personnel, je me plairais à insister sur les émotions que l’on éprouve dans le passage des fatigues au repos, des peines au plaisir. Ces émotions sont d’autant plus vives que la durée en est très-courte, et que souvent, après avoir essuyé de longues souffrances, on n’obtient pas toujours cette récompense fugitive qui les fait sitôt oublier. De fortes considérations me porteraient d’ailleurs à concentrer en moi- meme de tels sentiments. Le public d’un livre de voyage, dans une contrée classique, n’est point en majeure partie celui d’un livre purement littéraire. Ce public, très-froid par sa nature, insensible à ce qu’il appelle de vains récits, s’il ouvre un pareil ouvrage, c’est pour y trouver des faits, et s’il s’intéresse au voyageur, ce n’est point dans l’oisiveté du repos, il ne lui tient compte que de son activité; il le harcèle, afin qu’il explore sans cesse, Chaque page, chaque ligne, doit offrir des résultats; et ces résultats sont de sèches énumérations de rocs et de 'rocailles, de plantes et de ruines. Que si l’infortuné auteur, fatigué de cette longue et pénible tâche, laisse apercevoir l’homme au milieu de ces froides descriptions, ou s’il substitue le portrait de la nature vivante à l’analyse de son squelette , alors son lecteur sévère tourne d’un air dédaigneux ces pages oiseuses, e t , s’il les rencontre trop souvent, il laisse à jamais le livre« qui devient inutile pour lu i, quand il pourrait devenir intéressant pour les autres. Quelque rigoureux que paraissent ces goûts, je ne prétends point les blâmer; le sujet les justifie, peut-être même les rend-il néces- 1 : ; p * ' !


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