Page 75

27f 59

dans les bas-fonds, me parurent avoir servi de campement aux anciens nomades. Ces lieux auraient dû être visités, il est vrai, avec plus de soins que je n’ai pu le faire : l’on conçoit qu’en se bornant à recueillir des renseignements, à suivre la même ligne, ou bien à faire tout au plus de courtes excursions à droite et à gauche, bien des choses intéressantes m’auront peut-être échappé,; mais toutes les personnes qui m’accompagnaient étaient tellement épuisées par les fatigues, qu’il eût été cruel de les retenir à quelque distance de la ville , pour aller à la recherche de quelques pierrailles antiques. Je fis diriger la caravane sur Derne. A cet effet, nous contournâmes insensiblement vers le nord. C’était un jour de fête pour mes domestiques; malgré leur état souffrant, chacun d’eux avait mis ses plus beaux habits.. Ils allaient enfin arriver dans une ville, dans cette ville si souvent l’objet de leurs voeux. Aussi, dès le matin tous les regards se portaient vers l’horizon pour la découvrir. Celui qui l’apercevrait le premier devait recevoir une récompense de ses camarades ; telles étaient leurs conditions : mais cet aspect devait les frapper tous à la fois, et d’une manière inattendue. Deja la plaine unie de la mer avait succédé aux aspérités rocailleuses qui bornaient auparavant notre vue, et cependant rien dans l’horizon n’offrait la moindre apparence d’une ville , lorsqu’un cri général s’éleva tout-à-coup dans la caravane : E l belecL ! el beled! s’écria-t-on tous à la fois. C ’était Derne en effet que nous voyions à très-peu de distance de nous, mais au-dessus de laquelle nous nous trouvions à mille pieds environ de hauteur. Cette situation nous expliqua les plaisanteries de nos guides qui se jouaient depuis long-temps de notre impatience. Nous étions sur l’extrémité septentrionale de cette partie du plateau cyrénéen. Une plaine, petite lisière de terre, sépare les escarpements du plateau des bords de la mer, et la ville est bâtie en partie sur cette plaine, et en partie sur la pente des collines qui forment les premières assises de la montagne. De ce point, les maisons des habitants et les dômes de leurs santons nous paraissaient comme des taches blanchâtres à travers des bouquets de palmiers, ou bien elles étaient éparses sur des tapis de verdure au milieu des jardins de la ville et des petits champs qui l’entourent. Après un mois d’une vie errante, et souvent très-pénible, dans une contrée sans ab ri, ce n’est point sans plaisir que l’on porte les yeux sur des habitations humaines. Quelque mesquines qu’elles soient, elles paraissent dans ces moments autant de palais, asyles du repos et séjour de l’aisance. Malgré la différence des religions et la réserve qu’elle entraîne pour un Européen, i f espère du moins reprendre quelque force dans le sein d’une société à laquelle il ne demande qu’une hospitalité momentanée. Ces idées occupaient agréablement mon esprit ; mais elles agissaient bien plus puissamment sur mes compagnons de voyage. Si mon corps, plus habitué aux fatigues et aux privations du désert, n’avait jamais cédé aux maladies qu’elles occasionnent, il n’en était pas de même de M. Millier et de mes domestiques. Une violente dyssenterie tourmentait le jeune orientaliste, et le rendait à peine capable de se soutenir sur le chameau, tandis que des fièvres ardentes consumaient et menaçaient les jours de mes fidèles Nubiens et des Egyptiens conducteurs des chameaux. De plus, un musulman trouve un frère partout où il trouve un autre musulman. Aussi, les visages de ceux-ci, enflés et livides, se ranimaient à l’aspect du lieu qu’ils envisageaient comme le terme de leurs souffrances; et quoique j ’en fusse la cause première, en adressant des prières au prophète, ils y joignaient des remercîments des soins que je leur avais donnés. Dès la veille de cette journée, j ’avais envoyé un Arabe à Derne, pour informer de notre arrivée le chargé de pouvoirs du consul dés États- Barbaresques en Egypte. Cette démarche eut un succès complet. Nous avions à peine descendu une partie de la montagne, que nous aperçûmes plusieurs cavaliers se dirigeant sur nous. J’appris bientôt que c’étaient des soldats du gouverneur de la province qui venaient à notre rencontre. Leur costume moresque me causa une surprise agréable : un gilet de drap rouge, sans manches, et enrichi d’o r , s’apercevait sous les plis ondoyants du ihram; des pistolets étaient assujettis au flanc des cavaliers par une ceinture en peau, ornée de tresses de soie entrela- Gees de fils d’or. Cette ceinture forme un des principaux caractères du costume des Maures militaires; elle est soutenue par deux bretelles qui


27f 59
To see the actual publication please follow the link above