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mousse, de ces bocages qui oruent la pente d’un ravin, de ces irrégularités de sites, de ces disparates de couleurs, qui forment néanmoins ensemble un tout harmonieux. Eu un mot, nés dans une contrée où la partie habitée est triste par sa monotonie et où les déserts présentent une image affreuse, ils ne soupçonnaient pas même ces aimables caprices de la nature qui, dans les climats favorisés du c ie l, rendent les solitudes mille fois plus attrayantes que les lieux habités. Nous nous arrêtâmes auprès d’un bassin formé par une enceinte de rochers et couvert d’une jolie pelouse. Un ruisseau serpentait au milieu ; il jaillissait du sein d’une grotte ornée de festons de lierres rampants, et de bouquets de cytises dont les tiges légères étaient balancées par le bouillonnement des eaux. Cette fontaine s’appelle Ersen, ou Erasem; elle est situee immédiatement à l’extrémité de l’immense plaine qui s’étend sur ees montagnes et que nous nommerons Plateau cyrénéen. Un rideau de genévriers de Lycie borne l’horizon à l’ouest, et détache par sa teinte obscure les beaux arbrisseaux qui s’élèvent çà et là aux alentours. Tandis que mes compagnons de voyage se reposaient de leurs fatigues, et que les chameaux paissaient avec avidité les herbes touffues du bassin d’Erasem, cet endroit délicieux, si propre à éveiller des souvenirs historiques, m’en rappela, par sa situation et surtout par l’analogie de son nom, un des plus intéressants. Suivant le père de l’histoire, les Libyens à’A z ir is , probablement les Giligammes ( i) , jaloux de voir les Grecs séjourner si long-temps dans leur canton, les persuadèrent dê le quitter, pour se rendre, sous leur conduite, dans l’ouest, leur promettant de leur faire connaître une terre beaucoup plus fertile. Ils leur firent traverser pendant la nuit le beau pays d'Irasa, et les conduisirent en effet dans un lieu dont la fécondité et les sources abondantes répondirent tellement à leurs promesses, que les Grecs y établirent définitivement le siège de la colonie (•£): Le même historien nous apprend que lorsque les Cyrénéens eurent, ( l) Cette peuplade habitait la partie orientale de la Cyrénaïque, depuis l'île Aphrodisias jusqu'aux environs du Catabathmus ( HÉaon. 1. IV, 169). ' (2) Id. ibid. i 58. par des envahissements sur les terres de leurs voisins, provoqué contre eux une expédition d’Apriès, ils furent à la rencontre de l’ar-mée égyptienne et la défirent à Irasa, auprès de la fontaine de Thesté (1). Frappé de la grande analogie du nom Erasem avec celui à'Irasa, il me parut aussi que ce lieu, par sa situation sur les confins du plateau cyrénéen, convenait parfaitement aux Grecs pour repousser avec avantage une armée venant de l’Orient. Cette situation, d’après laquelle Irasa se trouverait à côté même à’A ziris, me parut également susceptible d’expliquer les précautions que prirent les Libyens pour dérober à la connaissance des Grecs le pays d 'Irasa, quoiqu’ils les conduisissent dans un canton plus fertile encore. Plusieurs savants, n’en connaissant point la nécessité, l’ont contestée ; cependant, ne paraîtrait-il point évident que les Libyens ne prirent le soin de conduire les Grecs au mont Cyra, qu afin de rester libres possesseurs de 1 un et l’autre lieu, soit pour être débarrassés d’un voisinage qu’ils redoutaient, soit parce que la belle fontaine de Thesté pouvait être autrefois, comme elle l’est de nos jours, le point de ralliement de tous les bergers du canton? A ces raisons, plus ou moins vraisemblables, j ’en ajouterai une autre qui ne laisserait plus aucun doute sur ce point de géographie ancienne, si elle pouvait être sanctionnée par l’approbation des savants. Dans la neuvième pythique, Pindare fait mention d’une ville d 'Anthée, située à Irasa (3J ; e t , chose remarquable, Scylax donne au cap au- dessus duquel se trouve Erasem, le nom de Chersonèse ^retù/e (3). (1) Id. Ibid. i 5g. D'après M. Raoul-Rochette(Hist. crit. des Colon, grecq., t. III, p. 263), Irasa serait Je lieu même où s’éleva la ville de Cyrène, et l’opinion de ce savant archéologue parait avoir entraîné celles de Gatterer, d’Herman et autres; maïs cette opipion, contraire au passage d’Hérodote que nous venons de citer, a d’ailleurs été suffisamment combattue par Thrige (Hist. Cyren. p. y4 , n. 58). Il résulte aussi de ce passage d Hérodote, qu’on ne peut séparer la position d Irasa de celle de Thesté, et que cette fontaine ne doit point être confondue avec celle de Gyré, comme nous 'le reconnaîtrons encore plus tard par l’examen des lieux. (a) Pyth. IX, v. a&5. (3) Edit. Gronovius, p. m . Vers le commencement d e ,c e chapitre (,p. 107), Scylax nomme la Chersonesus magna de Ptolémée, Chersonesus Achitides. Puisque cette Ghersonèse est infailliblement la même qu’il nomme Antidum, vers la fin du 12.


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