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Rien ne prouve mieux la bizarre confusion des idées de ces Arabes que de les voir ajouter la même foi aux talismans écrits par des personnes d’une religion étrangère à l’islamisme; il suffit d’être supposé magicien, pour posséder, selon eux, l’avantage de donner à ces colifichets leur inappréciable efficacité. En ma qualité de chrétien, et par conséquent de sorcier, on a souvent voulu profiter des rares vertus de ma science devineresse : il me répugnait de tromper aussi gratuitement leur confiance ; mais en vain je protestais contre le pouvoir surnaturel qu’ils me supposaient, mes raisons n’étaient pour eux que des prétextes; et j ’ai souvent été obligé, pour me débarrasser de leur importunité, à barbouiller des lambeaux de papier qu’ils enveloppaient bien soigneusement, en me témoignant une grande satisfaction. Néanmoins, si cette excessive crédulité est ridicule, elle est accompagnée ' d une grande simplicité qui les rend très-attachés aux anciennes traditions, et interdit chez eux toute espèce d’innovation. N’ayant que peu d’idées à eux, ils imitent,religieusement ce qu’ont fait leurs pères, et répètent avec bonne foi ce qu ils leur ont ouï dire. Si 011 leur demande l ’origine de tel usage, la cause de telle dénomination, ils répondent avec bonhomie: Cela, se fa i t ainsi; cela s appelle ainsi depuis long-temps. Ils paraissent même étonnés de ces questions, comme si ce qu’ils tiennent de leurs aïeux ne devait pas rendre tout examen superflu. Quoique leurs traditions soient souvent bien défigurées, il en résulte néanmoins un avantage pour l ’observateur, celui de découvrir dans les récits de ces Arabes, et principalement dans les noms qu’ils donnent aux localités, des traces précieuses qui remontent souvent jusqu’aux époques les plus reculées. Les principales richesses des Aoulâd-Aly consistent en troupeaux ; les cheiks, et parmi les simples Bédouins les plus aisés seulement, possèdent des juments. Des ânes très-petits, grêles de formes, mais habitués à une sobriété qui approche de celle du chameau, servent à transporter les effets d’un camp à l’autre; les plus pauvres parmi ces Bédouins les emploient même à de longs voyages, et ils ont soin alors de ne s’écarter jamais du littoral, où l’on rencontre plus fréquemment des puits. Dès qu’on a passé la vallée de Mariout, il est rare de voir des vaches ou des boeufs ; les terres, en général, n’offrent pas d’assez gras pâturages pour ces bestiaux; mais les troupeaux de menu bétail et les chameaux y sont très-nombreux. Les moutons de la Marmarique ont la queue moins traînante, la laine moins touffue et le corps moins volumineux que ceux d’Egypte ; mais toutes ces proportions se trouvent généralement plus fortes que celles des moutons dé la Barbarie. Les chameaux présentent, d’un cantorfà l’autre, par leurs formes, par la disposition et la nature de leur laine, des nuances qui n’échappent point a un oeil exerce, mais qui seraient difficiles à décrire. Ces nuances se changent meme en différences marquantes, ou pour mieux dire en caractères opposes, si 1 on franchit de plus grands espaces et que l’on compare les chameaux des contrées plus éloignées entre elles. J’aurai plus tard 1 occasion d établir ces comparaisons sur ce précieux animal : je me bornerai maintenant a faire remarquer que la nature, toujours prévoyante, pour mettre les chameaux de la partie septentrionale de l’Afrique à l’abri des intempéries de 1 hiver, les a pourvus d’un.e laine touffue et d’une couleur obscure, tandis qu’elle a donné un vêtement plus léger et d’une teinte plus claire à ceux de l’intérieur de la Libye. Le petit nombre de puits qui ne sont pas comblés ou détruits, et leur distance souvent très-grande des lieux habités, distance que la sécheresse de l ete augmente encore, ont oblige les Aoulad-Aly à ne faire désaltérer leurs troupeaux que tous les deux ou trois jours. Pour empêcher qu’une tribu entière ne se trouve simultanément réunie auprès de l’aiguade, les différentes familles qui la composent alternent entre elles les époques, et ne se rendent au puits commun qu’à des jours convenus. Ces Arabes partent alors précédés de leurs différents bestiaux; sur les chameaux ils déposent les cordes et les seaux en cuir qui servent à puiser l’eau, et-les outres qu’ils doivent remplir pour les besoins du ménage. Dès qu’ils sont arrivés' à une petite distance de l’aiguade, ils arrêtent leurs troupeaux; tandis que les uns s’occupent à lès retenir, les autres vont faire les préparatifs : ils consistent à réparer le creux fait précédemment dans la terre, et à tracer un sillon qui doit y conduire l’eau ; si les environs du puits sont rocailleux, le kassah tient lieu d’abreuvoir. Ils lâchent ensuite les bestiaux, mais seulèment un petit nombre à-la-fois; sans cette précaution,


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