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à la table des beys et d’autres seigneurs orientaux ; les mets sont servis avec profusion, mais le plus souvent tous à la fois, et ils sont enlevés avant d ’être à moitié consommés : il est vrai que chez ces derniers, et dans les villes en général, le même service passe ensuite aux femmes, et des •femmes aux domestiques; ce qui n’a pas lieu chez les Arabes du désert, où nulle distinction servile ou orgueilleuse n’est admise. Le peu d’occupations qu’ont ces Arabes, et non l’influence du climat, font pencher leur caractère vers l’indolence; sérieux, comme tous les Orientaux, ils passent des journées entières accroupis sur leurs talons, et n’échangent que par intervalles quelques paroles entre eux. Il est à remarquer que leurs propos sont toujours accompagnés d’exclamations ou de sentiments religieux; le nom de Dieu, A lla h , est répété à chaque phrase et presque à chaque mot; s’ils parlent, il remplit leurs conversations; s’ils se taisent, il interrompt leur silence. L’habitude sans doute plutôt que la réflexion les porte à cette continuelle répétition d’idées religieuses; le plus grand avantage qu’ils paraissent en retirer, c’est la résignation, qualité distinctive des Musulmans, et qui prend quelquefois un caractère sublime dans les dangers et les grandes souffrances. Cette pieuse résignation est bien plus touchante dans les déserts que dans les villes, et j ’ai souvent été frappé de la majesté qu’elle imprime chez les Bédouins, même aux pratiques extérieures de leur culte. Depuis long-temps on a ridiculisé en Europe les nombreuses gesticulations qui accompagnent les prières des Musulmans. J’avoue que les danses inspirées et les tournoiements convulsifs des santons, et les exercices journaliers de la prière , exécutés par une partie de la population à la porte même des maisons et des boutiques, produisent sur un Européen une impression moins respectueuse que plaisante. Mais que l’on porte les regards dans l’intérieur du désert vers cet Arabe simplement vêtu d’une ondoyante draperie blanche, costume qui ajoute à la gravité de son maintien; que l’on choisisse la prière du Moghreb ( i) , alors que le (i) Cette prière est ainsi nommée, parce quelle se fait immédiatement au coucher du sol brûlant de ces contrées est rafraîchi par la disparition du soleil ; alors que l’horizon se colore d’un rideau de pourpre qui se dégrade en teintes les plus douces; dans ces heureux moments où tout ce qui respire dans ces lieux est rendu à l’activité et le coeur de l’homme à l’espérance; que l’on voie alors cet Arabe lever les yeux et les mains au ciel ; qu’on 1 entende S’écrier d’une voix pénétrée mais calme : Dieu est grand! Dieu est miséricordieux .Let se prosterner devant l’Être invisible qu’il implore, humilier •contre la terre son front sillonné par les privations; que l’on examine son air de confiance dans la Divinité, confiance bien naturelle dans ces affreuses solitudes où l’homme ne paraît qu’un grain de sable ajouté aux mers de sables qui l’entourent; que l’on se représente un pareil tableau, et ces mêmes paroles, ces mêmes gestes que nous avons trouvés ridicules au milieu d’une foule nombreuse, nous inspirent un respect involontaire lorsqu’ils n’ont d’autres témoins que l’Être-Suprême, et d’autre théâtre que l’immensité du désert. Pourquoi faut-il que des hommes si rapprochés de la nature ne possèdent de qualités précieuses sans les porter à des excès qui en détruisent l’effet? Si leur touchante résignation est louable, elle dégénère souvent en apathique impassibilité ; et si leurs idées simples les élèvent vers la religion, leur aveugle crédulité les abaisse vers des croyances absurdes. Mais j ’ai tort de les accuser; la superstition est le résultat de l’ignorance; totalement livrés à la cause, ils doivent posséder au suprême degré son effet inévitable. Aussi ajoutent-ils la plus grande confiance au pouvoir des sortilèges et à l’influence des talismans. Il est rare de ne pas voir sur leurs bonnets et autour de leurs bras de petits lisérés de papiers enveloppés dans des bandes de peau ; ils contiennent quelques versets du Coran ou des grimoires inintelligibles écrits par de rusés fripons, qui jouent les inspirés pour mettre à contribution la crédulité de leurs dupes. Ces talismans se retrouvent partout, enfants et vieillards en sont munis; on les voit suspendus à l’entrée des tentes, aux cous des juments et des chameaux; ils passent pour neutraliser l’effet des sortilèges, guérir toutes sortes de maladies, et préserver les hommes et les animaux de tout accident fâcheux.


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