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Dans les déserts comme dans les villes, les filles sont vendues à leurs époux moyennant une somme d’argent plus ou moins forte, selon le degré de leur beauté : ici même elles sont plus communément échangées contre des troupeaux, et, pour le dire en passant, il est rare que la plus jolie de ces Bédouines soi t évaluée au-delà de deux chameaux ! Mais si ces Arabes partagent, comme Musulmans, la plupart des vices inhérents au culte qu ils professent, il est à remarquer, je le répète, que ces vices sont bien moins choquants chez eux que chez les habitants des villes. La pauvreté des Aoulâd- A ly est un garant de leur moralité; il est rare qu ils aient plus d’une femme. Faut-il encore attribuer à cette pauvreté la bonne intelligence qui paraît régner dans leurs ménages ? Ces outrageants divorces' que le voluptueux Musulman des villes se plaît à renouveler si souvent sont très-rares chez eux ; et en général ces hommes sobres et austères, quoique sectateurs de Mahomet, paraissent plutôt considérer en leurs femmes des compagnes à leurs peines, qué des meubles pour leurs plaisirs. Ces observations m’ontparu d’autant plus remarquables que les Aoulâd- A ly mènent une vie très-oisive. Dès que la terre a été sillonnée et que le grain lui a été confié, toutes leurs occupations se bornent à garder les troupeaux et à veiller à la sûreté de la famille. Quelques-uns font des voyages en Egypte, à Syouah et à Derne; ilsportenta Alexandrie et àDamanhourla laine de leurs troupeaux, et en rapportent des ihram, des toiles, des armes et de la poudre; ils prennent à Syouah et à Audjelah des dattes qu’ils échangent contre du beurre et des bestiaux, et ne se rendent que très - rarement à Derne lorsqu ils louent aux marchands leurs chameaux comme bêtes de somme. Leur nourriture habituelle Consiste en dattes sèches, en laitage et en farine d orge et de blé, qui, pétrie et jetée sur des tisons ardents, compose leur pain qu’ils nomment foutah, et cuite dans un grand vase avec quelques assaisonnements, forme le hedjim ou le plat par excellence. Toutefois, aux grands jours de fête, et lorsqu’ils acquittent les devoirs de 1 hospitalité, leurs repas sont plus somptueux, et la viande de mouton est un mets obligé. Chez les plus aisés, on voit même, dans ces circonstances, figurer les bammièh et les melloukhièk (f) d ’Égypte, et d’autres friandises encore plus recherchées. De tous leurs ustensiles de ménage, le kassah, vaste soucoupe en b o is , de deux a trois pieds de diamètre, est le plus utile. Après avoir servi, dans la journée, à abreuver les troupeaux et à d’autres usages domestiques, le kassah pose le soir sur la modeste natte, réunit la famille arabe qui s’accroupit circulairement auprès de l’universel ustensile. Dès que l’on a prononcé l’indispensable bismillah (a), chacun pétrit avec ses doigts les pâtes ou les légumes en boules, et forme peu à peu dans l’épaisseur de ce mets un creux devant lui, que le chef de la famille a soin de combler de temps en temps, en promenant sa main du centre à la circonférence du plat. Tel est l’avantage de la civilisation, que de pareils usages adoptés par les chefs mêmes de ces peuplades, exciteraient les dédains du plus modeste bourgeois d’Europe. Toutefois je dois faire observer que, dans les moments où le cheik et même les simples Arabes de la tribu prennent aussi peu délicatement leur repas, s’il vient à passer un voyageur, pauvre ou riche, n’importe, le généreux bismillah l’invite indistinctement à partager la table hospitalière; et l’étranger, comme l ’indigène, chez ce peuple grossier, accepte sans honte ainsi qu’on lui donne sans orgueil des secours qu’il serait injurieux de payer, et cela comme chose toute'naturelle et d’habitude. Après ces détails il est peut-être superflu d’ajouter que ces Arabes ne sont point gourmands; ils n’aiment en général que les mets très-substantiels, dont ils relèvent le goût avec du piment en poudre ; mais ils le prodiguent avec tant de profusion que j ’ai souvent été surpris que leur palais p ût y résister. Ils dévorent les aliments plutôt qu’ils ne les savourent; selon leurs idées, l’instant consacré à la nourriture ne doit point être envahi par la conversation ; aussi leurs repas sont courts et silencieux. Le même usage est suivi dans les villes et même chez les grands; s’il ehoque nos moeurs, il favorise et commande même la sobriété. Je me suis trouvé quelquefois (1) Plantes potagères dont les Égyptiens font un grand usage, (2) Premier mot de la prière que font les Musulmans avant de se mettre à table; de cet usagé, le bismillah est devenu la formule habituelle pour inviter à partager le repas.


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