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plus, selon mon expérience et le témoignage des voyageurs indigènes, les Aoulâd-Aly respectent généralement le droit de propriété; les Mo- grabins disent proverbialement que lorsqu’ils ont descendu la grande Akabcih, leurs biens et leurs personnes sont en sûreté. II est une observation que m’ont inspirée, à quelques différences près, tous les habitants du désert que j ’ai connus : quoique scrupuleux observateurs des préceptes du Coran, et par conséquent fanatiques par devoir, toutefois les Bédouins n’offrent point dans leur fanatisme ces formel 1 epoussantes et cet esprit intolérant que l’on ne remarque que trop souvent chez les Musulmans des villes; les idées sont les mêmes .partout, mais leur effet est bien différent. En parcourant la vallée du Nil, j ’ai été plus d’une fois exposé, comme chrétien, aux gestes menaçants et aux imprécations farouches d’un stupide Santon ou d un brutal Osmanli ; tandis qu’en traversant les camps des Bédouins, ou bien en pénétrant dans leurs tentes, mon oreille n’a jamais été frappée d ’aucune insulte. Chez les Aoulâd-Aly, j ’ai même reçu le plus souvent un accueil assez doux, et une hospitalité, sinon tout-à-fait désintéressée, du moins obligeante. La première impression que je produisais sur eux m’était toujours favorable; je m’apercevais alors qu’un sentiment indépendant de leurs idées religieuses les engageait à bien accueillir un être semblable à eux; ils me voyaient souffrir les mêmes maux, ils étaient portés à les soulager. L a froideur et la réserve succédaient quelquefois à ces élans de bonté naturelle; elles étaient produites spontanément par leurs fréquentes et intempestives citations du Coran qui arrêtaient les progrès dé notre naissante intimité, sans toutefois occasionner de propos injurieux. Lorsqu’ils m’accompagnaient dans mes courses, ils souriaient dé pitié en examinant mes différents travaux ; ils plaignaient mon aveuglement de surmonter tant de fatigues pour des choses qu’ils traitaient de futilités; et souvent, après avoir adressé des prières au Prophète, afin qu il éclairât les infidèles de sa lumière, ils s’entretenaient familièrement avec moi, et m’aidaient à la recherche des objets que je désirais connaître. Je cite ces détails, parce qu’ils me paraissent prouver que ces hommes, dont le premier abord est si farouche-, ont néanmoins un fonds de bonhomie qui rendrait leur commerce assez doux, même pour un Européen, si leurs louables'qualités n’étaient malheureusement altérées par le funeste esprit d’une religion exclusive. Passons à leurs habitudes, nous les trouverons aussi simples et aussi peu variées que leurs idées. Les femmes s’occupent seules des soins du ménage; elles dressent les tentes, y entretiennent la propreté, préparent différents laitages et tous les aliments, et se dispersent, le soir, dans les environs de la demeure, pour recueillir des herbes sèches et quelques plantes ligneuses éparses dans les vallées. Du reste, elles jouissent d’une grande liberté qui paraît d’abord peu s’accorder avec le caractère soupçonneux des Orientaux. Il n’est point rare de les voir causer familièrement, loin de leurs tentes, avec les autres Arabes de la tr ibu , sans que la jalousie de leurs maris en conçoive aucun ombrage. L ’orgueil est sans doute le principal motif de la confiance des Arabes du désert dans la vertu de leurs femmes; cette confiance est même sans limites envers leurs filles ; mais si elles la trahissaient, et surtout par des liaisons étrangères au sang bédouin, les suites en seraient terribles (i). Les filles et les jeunes gens des différentes familles passent ensemble des journées entières sans occasioner ni soupçon ni scandale. Leur développement précoce hâte l’époque des mariages, et souvent à l’âge de quinze ans ces Bédouines sont déjà mères. (i) Une jeune Bédouine, demeurant dans un camp d’Arabes voisin d’un village d’Égypte, avait des liaisons avec le fils d’un Fellah, Aveuglés par une passion mutuelle, les deux amants, sans réfléchir à la barrière insurmontable qui s’opposait à leur union, profitaient des ombres de la nuit pour se voir furtivement. Une indiscrétion trahit leur amour clandestin ; épiés, ils furent bientôt surpris : aussitôt les parents de la jeune Bédouine s’emparent du couple infortuné, et, ce que l’on ne peut dire sans horreur, excités par leur féroce orgueil, ils plongent indistinctement le poignard dans le sein des deux victimes; ils mutilent leurs çorps, et les membres palpitants, confondus par une union atroce, sont jetés dans le Nil! Une pareille action peut donner une idée de l’excessif orgueil des Bédouins en général ; mais je dois faire remarquer qu’elle a été commise par des Arabes qui, ayant quitté le desert, croient racheter les antiques vertus qu’ils ont abandonnées avec lui, en se montrant plus fiers encore de leur origine.


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