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qu’on voit les fragments d’un chapiteau grec ou romain à côté de ceux d’une arabesque, et le tout est surmonté d ’un bloc de pierre taillé en guise de turban, indice certain d’un tombeau arabe. Dépareilles ruines plus que les autres provoquent involontairement la réflexion. A voir ces débris de plusieurs édifices qui eurent une destination si différente, qui furent élevés par des peuples de moeurs et d’usages si opposés ; à voir ces témoins des âges antiques, ces produits de diverses civilisations, couverts ensemble de l’humble pierre des champs;-à les voir réunis en un seul monceau, réduits à un sort commun pour former la tombe d’un santon! à voir un pareil tableau, on dirait que le temps en rassembla les contrastes pour manifester sa puissance et se jouer du sort des nations. Quant à la cause historique de ce bizarre assemblage de ruines de diverses époques, elle s’explique naturellement. Sans détailler ici mal à propos la série des peuples qui se succédèrent dans cette contrée, à ne compter que de l’invasion des Musulmans, ceux-ci durent se servir des matériaux que leur offraient les monuments étrangers à leurs usages et surtout à leur culte religieux. Ainsi, les princes arabes auront fait démolir les temples et les autres édifices pour élever des mosquées et des châteaux; après eux, les Nomades finirent par tout détruire sans rien bâtir, et les tentes ont remplacé les villes et les hameaux. Après avoir marché, le 26 et le 27, durant neuf heures dans la vallée de Daphnèh, dont l’axe est à l’O .-N .-O ., cette vallée s’élargit, et les deux chaînes d’élévations qui la forment prennent des directions différentes. Celle de VAkabah se prolonge dans l’ouest, jusqu’aux montagnes cyrénéennes, et la colline qui lui est opposée se perd en ondulations vers le nord; la partie du littoral où l’on entre alors s’appelle Dâr-Fayal. Le 28, tandis que ma caravane poursuivait sa route à plusieurs heures de distance des bords de la mer, je la quittai pour aller visiter le port de Toubrouk. Je traversai d’abord un sol très - inégal, entrecoupé de ravins et de vallées, exhaussé de six cents pieds environ au-dessus du niveau de la mer. Ensuite je descendis le revers septentrional de ces hauteurs par un chemin qui dut servir autrefois de communication entre les habitants de Toubrouk et ceux de l’intérieur des terres. Ce chemin est taillé avec soin dans le roc vif, et bordé de deux canaux creusés aussi dans la roche, mais sur un plan plus élevé; ses nombreux contours et les escaliers larges et bas que l’on y trouve par intervalles, en adoucissent tellement la pente, qu’on le descend très-commodément à cheval. Les Arabes me dirent que l’on voyait plus à l’est sur le même revers de la montagne un autre chemin semblable à celui-ci. Si l’on pouvait se fier à l’exactitude de ce rapport, cet autre chemin aurait conduit probablement au port Ménélas, où aborda le prince grec dont il reçut le nom, et qui rappelle aussi le fameux Agésilas, qui y termina sa glorieuse carrière. Ce port, d’après les distances données dans les périples, et principalement suivant Strabon (1), devait être situé aux environs du cap Ardanaxès, nommé actuellement el-Mellah; il était par conséquent plus rapproché de Daphnèh que ne l’est Toubrouk, non loin duquel je me trouvais. Cette proximité de Daphnèh et de Ménélas donne plus de vraisemblance au rapport des’ Arabes; et leur témoignage, joint à celui que j ’avais sôus les yeux, s’accorderait avec les indices d’une nombreuse population que j ’avais remarqués dans l’intérieur des terres. Il fallait en effet que les relations de ses habitants avec ceux des villes littorales fussent tellement-actives dans l’antiquité, qu’elles eussent rendu nécessaires deux chemins taillés, à si peu de distance entre eux, dans le flanc de la montagne. Entre ces hauteurs et les bords de la mer, est une bande de terre' de quinze à vingt minutes de largeur, sablonneuse et couverte en majeure partie de soudes et d’euphorbes. Elle conserve à peu près cette distance depuis VAkabah jusqu’à Toubrouk, et devient ensuite plus spacieuse de ce dernier point jusqu’au golfe de Bomba. Les puits qu’on y rencontre très-souvent engagent les voyageurs à préférer en été cette route à celle qui suit les hauteurs qui la dominent. En contournant les bords d’un joli port, dont le fo.nd est de sable blanchâtre couvert d’un lit d’algue, j ’arrivai aux ruines de Toubrouk, situées (i) L. I et 1. XVII, § 17.


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