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entre deux caravanes qui se rencontrent, elles s’arrêtent à une certaine distance entre elles, et des parlementaires s’avancent des deux côtés, pour s’informer de leurs intentions réciproques. C ’est ce que nous fîmes : Hadji-Salèh, mon guide, et un des Harâbi, s’avancèrent dans l’espace qui nous séparait. Durant cette entrevue, trop éloigné pour entendre leurs paroles, j ’examinais attentivement leurs gestes : ils furent d ’abord très-animés ; je vis ensuite les deux envoyés se rapprocher et remettre leurs fusils sur le dos; ce fut pour moi le signal de la paix. Je m’empressai aussitôt d ’aller joindre les cheiks , et j ’appris qu’une guerre violente existait entre eux et une tribu voisine; plusieurs meurtres avaient été commis, jusqu’alors ils en étaient les victimes, et ils s’étaient réunis en nombre considérable pour se venger d’une manière éclatante de leurs ennemis. Ils me dirent que le bruit de mon voyage s’était répandu jusque chez eux; ils s’étonnèrent de ce que j ’osais pénétrer avec aussi peu de monde dans leur contrée; ils accusèrent ma hardiesse d’imprudence, et me firent sentir que je dépendais totalement de leur volonté. « Mais dans ce moment, reprit le plus âgé d’entre eux, la vengeance seule nous a rassemblés, nous voulons le sang de ceux qui ont tué nos frères; ainsi, poursuis ton chemin et que Dieu te protège ; » puis s’apercevant qu’il s’était trompé : « Si toutefois, a jo u ta- t-il, Dieu peut protéger un chrétien! » ;j Je né me permis pas la moindre observation sur ce compliment, et m’estimant heureux qüe leurs dispositions vengeresses ne s’étendissent pas jusques à nous, je les remerciai avec sang-froid de leur bon accueil, et nous nous empressâmes de les quitter. Cette rencontre me mit à même d’apprécier la différence de moeurs qui existait entre les Harâbi et les paisibles A o u la d -A ly , et me fit dès-lors entrevoir tous les dangers qui allaient nous entourer. Les terres de la vallée de Daphnèh sont d’une couleur plus obscure et paraissent plus fertiles que celles des cantons précédents. La végétation plus variée, est généralement herbacée dans la plaine, mais plus active et plus forte dans les ravins. Depuis que nous étions entrés dans la vallée, je cherchais à m’expliquer la cause de sa dénomination, lorsque j ’aperçus enfin quelques bouquets de nerium (t) parmi les fentes des rochers. Ce joli arbuste, quoique très-rare maintenant dans ces lieux , y paraît cependant indigène. Sans doute il y croissait autrefois en plus grande quantité; les anciens habitants l’auront multiplié dans leurs champs, ils en auront embelli leurs demeures; et ces habitants durent être très-nombreux, puisque les vestiges de ruines sont si multipliés dans cette vallée, qu’elle paraît avoir été couverte de villages et de hameaux. G est a. Daphnèh surtout, et dans ses environs, que l’art a redoublé d’efforts pour aider la nature. Partout on y aperçoit des restes de canaux d’irrigation ; ils sillonnent la plaine en tous sens, ils serpentent sur les flancs des_ collines et de la montagne. Dans ces derniers endroits, on les voit se diriger, tantôt perpendiculairement, tantôt horizontalement, selon qu’ils furent destinés à conduire les eaux des pluies dans les citernes, ou des citernes dans les champs. J’ai vu de ces canaux disposés comme des. rayons dont le centre commun est un bas-fond ; j ’en ai vu suivre parallèlement les rives d’un petit vallon, pour aller, sans doute autrefois, arroser les champs plus éloignés d’un industrieux agriculteur. J’en ai vu d’autres se ramifier comme les rigoles de nos jardins, afin de détourner le cours de l’eau, de le prolonger ou de l’arrêter à volonté. Quoique la vallée de Daphnèh paraisse avoir été anciennement très-habitée, je n’aperçus parmi les ruines qui la couvrent aucun reste de monument remarquable. Le Kassr-Djédid, à l’entrée de la vallée, n’est qu’une masure informe. Indépendamment de son aspect, son nom (a) indique qu’il appartient à une époque moderne; mais les fragments antiques intercalés dans ses murs, et le puits qu’il renferme, prouvent que cet édifice fut élevé sur l’emplacement et avec les débris d’un autre plus ancien. Je puis encore citer le Kas sr - Coumbouss, situé sur le sommet de la montagne, à six heures à l’ouest du précédent. Sa destruction est telle que, non seulement on ne peut plus rien distinguer dans un amas de pierres, forme à laquelle le monument est réduit; mais que des débris d’une origine bien différente y sont confondus pêle-mêle, de manière (1) Nerium oleander. (2) Djédid veut dire neuf., construit récemment.


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