Page 51

27f 59

« bien épier l’occasion d’en commettre de nouveaux ; enfin, ajouta-t-il, la « plupart des habitants de V/ll'abah, depuis un temps immémorial, « sont des transfuges de diverses tribus, qui rendent ce passage re- « doutable pour toutes sortes de voyageurs. » Ce fut là en effet que le général Minutoli vit échouer ses projets ; ces Arabes, sous le vain prétexte que lui et les siens étaient des espions du Pacha d’Égypte, les empêchèrent de poursuivre leur voyage. Cet exemple, bien plus que les propos de mon guide, était susceptible de m’inspirer de l’inquiétude. Nous n’étions qu’à une heure de distance de la montagne; la nuit était obscure et pluvieuse; et la lueur des feux que j ’apercevais de temps en temps dans le lointain, attestait la présence des hommes qui allaient bientôt décider du sort de mon entreprise. Enfin la clarté du jour vint mettre un terme à mon impatience ; j ’encourageai mes domestiques par de légers présents, et bien résolu à tout braver plutôt que de reculer, je m’avançai vers le passage si redouté. Je n’introduirai point le lecteur au milieu des camps de ces Arabes, je ne le ferai point assister aux délibérations tumultueuses qui eurent lieu à mon sujet; je ne lui rappellerai point mes angoisses eu me voyant en butte à l’incrédulité du fanatisme et aux exigeantes spéculations de l’intérêt. De pareils détails, occasionnés par des circonstances bien rares dans ces déserts, sont étrangers aux moeurs habituelles de ses habitants ; dès- lorS ils. deviennent tout-à-fait personnels au voyageur, et par conséquent oiseux pour le public éclairé. Il me suffira de dire que la simplicité de mon costume, mon isolement, ma confiance, et peut-être même ma fermeté, obtinrent de ces hommes farouches cé qu’une escorte imposante et de grands titres n’avaient pu obtenir : on me permit de franchir Y Akabah. i Ma caravane avait déjà traversé la vallée; M. Miiller, que sa maladie retenait sur le chameau, était dans une grande anxiété pendant mon absence ; dès que je fus de retour auprès de lu i, ses yeux abattus se ranimèrent pour me témoigner le plaisir que mon succès lui faisait éprouver. Satisfait d’avoir été plus heureux que mes prédécesseurs, je formai des voeux pour le rétablissement de la santé de mon compagnoh de voyage; le ciel ne les exauça que bien tard ! et ce ne fut qu’après de longues souffrances, après avoir été aux portes du tombeau, que M. Müller retourna miraculeusement à la vie, au milieu même des privations du désert! Nous mîmes une heure à monter Y Akabah et Soloum, par un chemin formé dès la plus haute antiquité. Il est bordé, en grande partie, d ’immenses rochers, dont le ciseau a quelquefois fait disparaître les angles trop saillants qui obstruaient le passage. Cette montagne s’élève par ondulations d’une hauteur progressive, ou bien elle présente des flancs escarpés que le chameau gravit avec peine, quoiqu’on ait essayé d’en adoucir la pente. La roche est généralement de calcaire compacte et coquillier ; des masses de grès se trouvent isolées sur le calcaire, ou bien le calcaire est uni avec le grès. Des arbustes qui commençaient à se revêtir de leur feuillage couvraient les endroits terrèux, et remplissaient les crevasses des rochers. Ce fut là que je vis, pour la première fois dans ce voyage, des bouquets de lentisques et de genêts. Il n’était sorte de soins que je n’eusse employés jusqu’alors pour préserver de tout accident le seul baromètre que je possédasse ; malheureusement, dans le désordre qu’occasionna la chute d’un chameau, il fut brisé contre un rocher. Quoique ce baromètre fut très-mal construit, sa perte me causa d’autant plus de peine, qu’elle était irréparable, et qu’elle occasionna dans le résultat de mes observations ultérieures une lacune qui ne put être remplie par des calculs d’estime toujours hypothétiques. La montagne de Y Akabah me parut avoir environ 900 pieds d’élévation; elle commence immédiatement aux bords de la mer, d’où elle se dirige au S .-S .-E ., pour aller joindre les hauteurs qui côtoient l’Oasis d’Ammon. Au sommet s’étend un plateau de treize heures d’étendue du S.-E. au N.-O. ; quoique les terres n’y diffèrent point par la végétation et la couleur de celles de la petite jikabah, elles sont néanmoins plus fertiles et plus généralement cultivées. C ’est de là que vient le nom de Z a ’rah, champ, que les Arabes donnent à ce plateau. En le parcourant nous passâmes fréquemment auprès de grands campements de pasteurs ; les travaux agricoles mettaient tous ces Arabes en activité, et variaient un peu la monotonie du tableau que nous avions eu presque toujours sous les yeux. S’il est une époque dans l’année susceptible de distraire ces hommes de leur sérieux habituel, c’est celle, comme nous l’avons observé, où le sol I 6


27f 59
To see the actual publication please follow the link above