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trouve concilié avec le gain, et en accomplissant un pieux devoir, ils ont l’avantage de vendre à haut prix leurs marchandises au Caire et dans les autres villes qu’ils rencontrent sur leur passage. Depuis notre départ d’Alexandrie, nous avions souvent essuyé des pluies, mais de courte durée ; elles ne commencèrent à nous incommoder par leur continuité qu’à Chammès, et après avoir quitté ce château elles devinrent si violentes qu’elles interrompirent tout-à-fait notre voyage. Malheureusement, aucune élévation ne se trouvait ni aux environs, ni au lieu même où nous fûmes surpris par l’orage. Obligés à nous arrêter, il nous fallut poser les tentes dans une plaine argileuse, où nous ne pûmes pas même réunir assez de pierres pour dresser un tertre afin de nous garantir de l’inondation qui devint bientôt générale. Ces contrariétés me prouvèrent dès-lors que presque tous les usages des Arabes sont le fruit d’une expérience réfléchie, et qu’un Européen doit bien se garder de juger de leur importance avant d’avoir pu apprécier leur utilité. Les Arabes nomment souvent leurs tentes biout, maisons : il m’était arrivé plus d’une fois de les plaisanter sur la dénomination qu’ils donnaient à quelques lambeaux de toile ; d’autant plus, leur disais-je, que loin d’offrir des pavillons élégants comme celles des Os- manlis, leurs tentes écrasées contre le so l, ressemblent de loin plutôt à des taches noirâtres qu’à des habitations humaines. J’appris dans cette circonstance, à mieux réfléchir sur la valeur des termes que ces hommes simples adaptent si bien à leurs usages ; et je dus avouer aux Arabes qui m’accompagnaient que, non seulement leurs tentes méritaient le nom de maisons, mais qu’elles leur étaient préférables pour des nomades, puisqu’elles ont tous les avantages de ces dernières, sans en avoir les inconvénients. Spacieuses, mais très-basses, ces tentes résistent à la force du vent par leur forme aplatie; de même que par leur tissu épais, de poil de chameau, elles assurent à la famille arabe et à son modeste mobilier un abri impénétrable aux pluies de longue durée. Habitué par mes précédents voyages au climat sec et au ciel toujours serein du désert libyque, je me servais de tentes turques à choubak et à touslouk. Celles-ci ont un dôme exhaussé, qui favorise dans l'intérieur la circulation de l’air, tandis que leur tissu de coton et d’une blancheur éclatante repousse les rayons du soleil. Ces qualités, précieuses dans les sables brûlants de l’intérieur de la Libye , devenaient funestes dans les cantons pluvieux de la Marmarique. Aussi, malgré nos précautions, nous fûmes souvent obligés de redresser nos tentes qui nous ensevelissaient sous leur volume humecté. Les orages se succédèrent sans interruption pendant les journées des 19, 20, et 21. Ce mauvais temps prolongé fut la cause première de la longue maladie de mon compagnon de voyage, M. Müller. En vain nous cherchâmes à nous préserver de l’humidité avec des lits de broussailles; nos draperies de laine étaient tellement trempées que nous ne pûmes parvenir à les sécher. La saison dans laquelle nous voyagions présente encore un autre inconvénient pour parcourir ce pays; c’est la nature argileuse des terres, qui deviennent, après de fortes pluies, très-glissantes et presque impraticables pour les chameaux chargés. La nature a créé cet utile animal afin d’aider l’homme à traverser les vastes solitudes occupées par les sables; sa pate large, cartilagineuse, et dépourvue de sabot, foule sans fatigue les plaines sablonneuses, tandis qu’elle est mal assurée, et qu’elle glisse sur des terres humides, ou se blesse en heurtant les pierres d’un chemin rocailleux. Ce même motif rendit la marche de la caravane lente et souvent interrompue, lorsque nous pûmes enfin quitter ce lieu, le 22. Heureusement , après avoir fait avec peine quelques lieues de chemin, le s o l , à l’approche de la grande Akahah, devint plus sablonneux et nous permit de suivre notre marche ordinaire. Le 23, nous passâmes auprès du Kassr-Ladjedabiah, situé à vingt-quatre heures de Chammès, Ce monument, un des plus considérables que j ’aie vus dans la Marmarique, fut élevé par les Sarrasins. Ses murs conservent encore toute leur hauteur; ils sont construits en belles assises, mais dépourvus de tout ornement d’architecture : deux tours carrées sont aux angles du côté ouest ; intérieurement est un puits, et l’on voit des escaliers pratiqués dans l’épaisseur des murs pour arriver au sommet. Les grandes dimensions de cet édifice, qui fut probablement un


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