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quel elle est réduite dans ces cantons pendant neuf mois de l’année. Les pluies pénétraient dans les crevasses de la terre endurcie par les rayons brûlants du soleil d’Afrique; ces pluies bienfaisantes étaient attendues avec impatience, et leur arrivée était célébrée avec des transports de joie par ces Arabes errants dans une contrée où ne coule aucune rivière où ne jaillit aucun ruisseau. Qu’il est intéressant le spectacle qu’offrent ces habitants à cette heureuse époque de l’année ! Toutes les familles dispersées sur la lisière de terres qui s’étend depuis Alexandrie jusqu’au golfe de Bomba, se mettent alors en mouvement ; on se demande quels sont les lieux les premiers favorisés par les soins de la Providence : tel endroit est-il désigné, on s’empresse de s’y rendre ; chameaux et juments sont indistinctement employés à la charrue ; la terre est bientôt sillonnée, et reçoit le grain qui ,doit avec le lait composer la principale subsistance de ces peuples , barbares il est v ra i, mais dont les moeurs sont hospitalières et simples. Les eaux du torrent avaient attiré ce grand nombre d’Arabes que nous trouvâmes sur ses bords. Il régnait un tel contentement parmi eux qu’il se manifestait même dans leurs travaux. Ici l’on préparait les instruments aratoires ; plus loin on mesurait le grain qu’on allait ensemencer ; et ces apprêts se faisaient avec une vivacité et une joie extraordinaires chez des hommes naturellement graves et silencieux. Les troupeaux surtout paraissaient avoir pris une nouvelle vie : on voyait le menu bétail bondir autour du torrent, se grouper autour des arbustes, tandis que le patient chameau, qui sentait ses flancs rafraîchis, oubliant sa masse et ses habitudes, gambadait lourdement dans la plaine. Et ce contentement des hommes, ce bien-être des animaux, étaient causés par un spectacle si commun dans nos contrées, par un peu de verdure naissante , par une nappe d’eau roulant dans ce canton aride ! La satisfaction, même chez les peuples les plus sauvages, dispose à la bienveillance; aussi fûmes-nous accueillis favorablement par ces pasteurs. Mon titre de chrétien ne produisit aucun mauvais effet ; je leur dis que nous nous rendions à Derne pour des affaires de commerce, et ils parurent le croire. L e cheik du camp voulut même célébrer notre arrivée par un repas splendide ; selon l’usage antique et toujours pratiqué par ces nomades, il fit immoler un mouton pour être servi en entier aux convives. Ibrahim, c’était le nom du cheik, me témoigna des égards et une franchise auxquels les Arabes ne m’avaient pas encore habitué. J’eus de nouveau l’occasion de remarquer que les idées de ces hommes gagnent souvent en justesse ce que l’éducation et la manière de vivre leur font perdre en étendue. Les projets de Mohammed-Aly, et principalement son organisation des Nizafn-el-djédid, étaient le sujet des entretiens de tous les habitants de la contrée. Ibrahim me faisait quelques remarques judicieuses sur les événements qui se passaient en Egypte, et sur les suites qu’ils pouvaient entraîner, lorsque des objets plus intéressants que les discours politiques du cheik attirèrent toute mon attention. Tandis que,les femmes plus âgées faisaient les préparatifs du repas hospitalier, et qu’elles étendaient les tapis dans la tente, les jeunes filles, après avoir relevé les plis ondoyants de leur draperie, se dispersèrent dans les environs pour recueillir des herbes sèches et des broussailles, seul combustible dans un pays dépourvu d’arbres. Je suivais les mouvements rapides de leur taille svelte, la gaucherie pleine de grâces de leur démarche ou plutôt de leur course; j ’écoutais avec plaisir leurs chants, dont les fortes intonations contrastaient avec des voix virginales. Selon l’usage constant, une d’entre elles récitait toute la chanson ; ses compagnes ne répétaient que le refrain ; et tandis que celle-ci racontait, sur un air simple et peu v a rié , l’amour infortuné d’un jeune guerrier pour Fatmèh, la plus belle des fleurs du désert, mais appartenant à une tribu ennemie; tandis qu’elle représentait l’amant, solitaire dans sa tente, devenu insensible à la vengeance, infidèle à la loi du sang, et laissant sa jument errer, sans soins, dans la vallée, les autres interrompaient de temps en temps ce récit, en répétant toutes ensemble hia s i (cm! hia s ilem/ ô amour! Les chants avaient cessé, et la nùit avait succédé au riant tableau qui s’était offert à mes yeux. La simplicité, je dirai même le bonheur de la vie arabe, ne m’avaient jamais autant frappé; et j ’étais absorbé dans une foulo d’idées dont je ne ferai pas l’inutile confidence au lecteur. La voix d'Ibrahim vint enfin me distraire de mes réflexions, et le bismillah


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