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Je soupçonnai alors, et je me convainquis par la suite, que les Egyptiens n’avaient ni élevé des monuments, ni fondé aucune ville dans la Marma- rique avant d’être soumis aux Grecs, et que dans les temps antérieurs à cette époque, ce pays ne devait être habité que par des hordes errantes, et peut-être aussi par des Berbères et des Libyens-Pheniciens. L ’histoire nous apprend que la Libye fut parcourue par Sesostris, et deux fois occupée par les Perses. Mais le voyage, d’ailleurs fort incertain, du héros égyptien, ne prouve l’établissement d’aucune colonie; quant aux expéditions de Cambyse et d’Aryandès, l’une dans l’intérieur des terres, et l’autre dans le littoral, l’on connaît la fin malheureuse de la première, et le stérile résultat de la seconde, qui se borna à assouvir la vengeance de Phérétime. Si les Égyptiens antérieurs à la conquête d’Alexandre eussent établi des colonies et élevé des monuments sur ce littoral, on devrait en apercevoir des traces ; la solidité extraordinaire de leur architecture porte à le croire, et les emblèmes hiéroglyphiques dont ils l’ornaient se trouveraient au moins empreints sur quelques débris. On ne peut objecter que ces monuments soient tout-a-fait disparus; quels que soient les matériaux dont ils aient été formés, quel que soit l’endroit où ils furent élevés, au milieu des deserts comme dans les lieux habités, partout on en aperçoit au moins quelques traces ; et si de nouveaux édifices eussent dévoré ceux des Égyptiens, la même raison existe encore; ici comme ailleurs les vestiges antiques s’apercevraient sur les monuments plus modernes. Ces idées relatives aux monuments de l’Egypte ancienne en inspirent d’autres qui ont rapport au caractère général des ruines Ü Abousir, caractère qui se reproduira constamment dans les contrées que nous allons parcourir. En Egypte, parmi les ruines d’anciens bourgs, si l’on aperçoit des pierres, elles sont le plus souvent colossales ; la raison en est qu’elles sont les débris de temples ou d’édifices publics; mais ce qui reste des simples habitations consiste toujours en massifs de briques crues (i). . (i) Toutes les ruines des maisons particulière« des anciens Égyptiens, situées dans la vallée du Nil ou isolées dans les sables, ne présentent que des massifs de brique crue, A Abousir et dans toute la contrée qui suit à l’occident, les débris d’anciennes habitations, jusqu’à ceux du moindre hameau, sont toujours en pierres de taille, ordinairement de cinq à six décimètres d épaisseur, et jamais en briques. La différence des matériaux de ces ruines explique celle des contrées où elles se trouvent. Les terres d’alluvion de la vallée du Nil, amollies annuellement par les débordements du fleuve, offraient aux habitants des matériaux peu coûteux et d’une exploitation bien facile pour élever leurs demeures. La nature dans cette heureuse contrée va au-devant des besoins de l’homme, lui prépare elle-même les choses les plus nécessaires à son existence, et ne lui laisse que la peine de les recueillir. Le sol de la Marmarique, dépourvu de ces avantages, ne put offrir à ses habitants les mêmes facilités: ils durent extraire du flanc des collines ou du sein de la terre les matériaux nécessaires pour élever leurs habitations; et en cela, comme en bien d’autres choses, l’industrie créa ce que le sol refusait. Aussi aurons-nous bientôt l’occasion de remarquer partout l’art empressé de seconder la nature ; nous verrons de nombreux canaux sillonner les plaines, suivre la pente des collines, et suppléer à l’absence des rivières en recueillant de tous côtés les eaux du ciel pour les diriger dans de vastes et nombreuses excavations souterraines. Abousir fait partie de X Ouadi-Mariout, ou vallée Maréotide, canton assis le plus souvent sur des monticules factices également en terre et couverts de débris de poteries. On ne pourrait guère admettre avec vraisemblance que ces massifs ne soient que la base des maisons, et que la partie supérieure fut en pierre ; cet usage serait trop opposé aux règles de l’architecture pour supposer qu’il eût été adopté chez un peuple qui les connaissait aussi bien. Concluons donc de ceci que la nonchalance des Égyptiens fut la meme dans tous les temps, et que la commodité des matériaux, dontleNil était le principal ouvrier, les engageait autrefois, comme de nos jours, à préférer des habitations frêles et poudreuses à des constructions proprés et solides, mais dont les matériaux eussent été d’une exploitation plus difficile. Cette idée n’est point incohérente avec les monuments gigantesques de l’ancienne Égypte; elle prouve seulement que les Égyptiens faisaient comme peuple et réunis en masse, ce qu’ils négligeaient de faire comme particuliers et pour leur bien-être individuel. I. 2


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