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guides reçurent à diverses reprises, et qui me forcèrent, par respect pour les usages, d’interrompre souvent notre marche. Les adieux chez les Arabes sont graves, et ont quelque chose de solennel : on dirait que ces hommes renouvellent alors les liens qui les attachent à leur tribu; ils se prodiguent des témoignages d’affection, mais avec un calme et un sang-froid qui contrastent avec leurs voeux et leurs serments. Enfin ils sont séparés; bientôt ils se distinguent à peine; et le ihrdm (i) agité en l’air, signale leur dernier adieu ; et la force de leurs organes transmet encore à travers l’espace un échange de souhaits et de protestations amicales, toujours accompagnés d’expressions religieuses. Plusieurs amis de mes guides les avaient accompagnés jusqu’à Abousir; nous fûmes tous- ensemble nous mettre à l’abri de la pluie dans de vastes carrières situées à l’extrémité occidentale des ruines de la ville. Ces carrières passent pour avoir recélé le fruit des rapines des Bédouins; c’est là que ces nomades se seront partagé les dépouilles des nombreux navires naufragés sur la côte du golfe des Arabes. Je vis encore sur ses bords des tronçons de mâts, et d’autres débris de navires à demi enfouis dans le sable. Il serait assez remarquable que ce fût dans le lieu même dont je viens de parler, où la colline offre réellement des flancs escarpés, que les habitants de Taposiris se fussent réunis à certaines époques de l’année pour se divertir et fa ir e bonne chère (2). Quoi qu’il en soit, avant le règne de Mohammed - Aly, il eût été dangereux pour un Européen de s’arrêter dans un pareil endroit ; mais le gouvernement rigoureux de ce pacha a su inspirer une crainte salutaire même aux habitants des déserts qui avoisinent la vallée du Nil. Néanmoins je fis allumer de grands feux pendant la nuit; leur clarté ne tarda pas d’attirer une foule d’Arabes des environs ; la plupart étaient de la connaissance de mon guide Makhrou. De légers cadeaux excitèrent leur bonne humeur, et après un repas somptueux pour le désert, tous mes convives passèrent plusieurs heures à des exercices gymnastiques, que nous avons presque tous faits dans notre adolescence, sans nous douter (1) Draperie de laine qui sert de vêtement aux Arabes du désert. (2) S t r a b . t. Y, 1. XVII, p. 358. Trad. de M. Letronne. que leur origine se perd dans la nuit des temps. J’avais vu ces jeux reproduits par des peintures dans les catacombes égyptiennes de Beny-Hassan, dans la Haute-Égypte ; et quoique leur objet fût d’une faible importance, ce ne fut pas sans surprise que je remarquai chez les Arabes la transmis,- sion fidèle dé ces usages antiques. J’employai la journée du lendemain, le 7, à visiter Abousir. Parmi les ruines de ses anciens monuments, les plus apparentes et les plus considérables sont celles d’un temple situé sur une élévation, à peu de distance des bords de la mer. Ses murs, disposés en talus, à la manière égyptienne, et construits en pierres de deux pieds de large sur dix pouces de hauteur, forment un carré dont chaque côté a quatre-vingts mètres. La partie supérieure manque; mais au côté oriental du monument qui en était la façade, est un grand pylône quadrangulaire, engagé dans l’enceinte générale du temple dont il suit aussi le même degré d’inclinaison. Ce pylône contient intérieurement deux petites pièces latérales à la porte d’entrée, et sa face extérieure offre une. analogie marquante avec les monuments de l’ancienne Egypte ( Yoy. pl. I.). On y voit en effet quatre rainures parfaitement semblables à celles qui sont devant là première cour du temple de Carnac, à Thèbes, et destinées sans doute ainsi que celles-là à contenir des mâts que l’on y plaçait lorsqu’on célébrait les grandes fêtes religieuses ou politiques. L ’intérieur du temple est tellement détruit, qu’il me fut impossible de reconnaître les moindres traces de son ancienne distribution. Parmi les amas de décombres, je ne pus distinguer que des tronçons de colonnes (1), un puits revêtu de belles assises situé au milieu du monument, et un souterrain presque totalement comblé qui conduisait au puits par un escalier. D’après les observations que je viens de réunir, si l’inclinaison des murs, et principalement les détails architectoniques que l’on remarque sur la façade du pylône, donnent au temple d'Abousir une grande analogie avec les monuments de l’ancienne Egypte, la petite dimension des (1) Je n’ai pu trouver aucun de leurs chapiteaux ni même de simples fragments’ ; MM. de Chabrol, Lancret, Faye etLepère, qui ont visité, en 1801, les ruines d'Abousirx ont pu reconnaître à cette époque que ces colonnes étaient d’ordre dorique.


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