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Un grand nombre de ses disciples se dispersèrent dans la Cyrénaïque ; et, chose étonnante, la Pentapole chrétienne vit répandre dans ses champs des moeurs plus désordonnées, des préceptes plus libres, que ceux qu’y avait propagés autrefois le voluptueux Aristippe. L ’austère morale de l’Evangile fut changée en un code monstrueux qui établit en dogme, comme seule source de paix et de bonheur, la libre communauté des femmes et de toutes sortes de propriétés. De pareils préceptes furent même consacrés par des monuments, dans l’un desquels le nom révéré du Christ se voit à côté de ceux de Thot, de Saturne, de Zoroastre, de Pythagore, d’Épicure et de Masdacès. Selon ces mêmes monuments, les Carpocràtiens se maintinrent dans la Cyrénaïque jusqu’au sixième siècle ; les usages qu’ils avaient adoptés firent perdre le trône et la vie à Cobad, roi de Perse, qui avait voulu les introduire dans ses états, à l’instigation du même Masdacès, placé par les Carpocratiens au nombre de leurs prophètes. On aurait droit par conséquent d’être surpris que ces usages eussent acquis un libre et honteux exercice dans une société policée, si l’on ne savait qu’ils existèrent chez les Nabatæens, sans troubler leur tranquillité intérieure, et que ce peuple fut au contraire cité comme exemple de concorde et d’union ( i) i' C ’est ainsi que l’histoire des sociétés humaines offre quelquefois des problèmes qui mettent en doute jusqu’à l’universalité des principes de leurs plus chères affections. La Cyrénaïque marchait rapidement vers une décadence totale; elle avait été divisée en deux provinces, en Libye supérieure et inférieure,, commandées chacune par un préfet et un duc. Dans le cinquième siècle, sous l ’empereur Arcadius, la capitale n’existait plus, ou ce n’était plus que son ombre. Un évêque, disciple de la célèbre Hypatia d’Alexandrie, rappelait alors la mémoire des anciens philosophes; témoin des catas- ( i ) S trab on , 1. X V I , c. 3. trophes qui désolèrent cette province, Synésius éleva en vain sa figure imposante sur les ruines de Cyrène, pour implorer les secours du chef de l’empire; que pouvait la voix d’un philosophe, dans ces temps ou les descendants des Césars s’occupaient gravement de minuties religieuses, et où de pareilles querelles divisaient les nations ? Les principaux fauteurs des malheurs de la Pentapole n’étaient cependant que des hordes barbares qu’il eût été facile de chasser dans l’intérieur des terres, puisque quarante Huns au service des Romains suffirent pour repousser une de leurs attaques, et les obligèrent à rentrer, dans les déserts. Telle fut néanmoins la négligence des empereurs romains envers la Pentapole, que dans le même siècle, nous apprend Synésius, des hordes de Libyens Ausuriens ( i) l’infestèrent à tel point, «qu’il ne s’y trouva « de montagne assez escarpée, de château assez fort qui pût opposer « quelque obstacle à leurs courses dévastatrices. Tout devint leur proie : «ils saccagèrent les villes, dépouillèrent les autels, et leur avidité ne « respecta pas même l’asyle des tombeaux. Les femmes éplorées quittaient «pendant la nuit leurs habitations; elles se réfugiaient dans les forêts; «mais ni les ombres de la nuit, ni l’épaisseur des bois, ne pouvaient les (i) Ces Ausuriens, dont Synésius seul, à ma connaissance, fait mention (epist. 78, in Catast. 299-301. Interp. Dion. Peta.), ne rappelleraient-ils pas, par l’analogie du nom et la proximité du lieu, les Libyens Auséens, qui habitaient, selon Hérodote (1. IV, 180), les environs du lac Tritonis ? Les moeurs belliqueuses de cette peuplade, qui rendait un culte particulier à Minerve, donneraient un nouveau degré de probabilité à ce rapprochement. Selon le même historien, dans une fête que les Auseens célébraient tous les ans en l’honneiir de cette déesse, leurs filles, partagées en deux troupes, se livraient un combat violent à- coups de pierres et de bâtons ; celle qui s’était le plus distinguée pendant l’action recevait, pour prix de sa valeur, une armure complète à la grecque. Hérodote, en terminant ce récit, ajoute que ces Libyens, avant que des colonies grecques se fussent établies auprès de leur territoire, devaient tenir leurs armures des Égyptiens; cette remarque, étrangère à mon rapprochement, peut néanmoins ne pas être sans intérêt, et me paraît susceptible d’en provoquer d’autres.


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