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Le luxe et la volupté furent portés au comble : le luxe s’étendit jusqu’aux artistes, et principalement sur ceux qui exerçaient des arts frivoles; la volupté reçut le nom spécial de cette contrée, et fut même érigée en secte par le philosophe Aristippe, qui, par un singulier contraste, était disciple de Socrate. ‘ « Opposer une stoïque résignation aux rigueurs de l'infortune,et sacrifier « son bien-être particulier au bien public, étaient dès chimères que l’on a « follement decorées du nom de vertus; saisir avec empressement le plaisir « fugitif, ne s’occuper que du moment présent sans s’inquiéter, ni de l’ave- « nir, ni du passé; en un mot, concentrer toutes les jouissances en l’amour « de soi-même, et entourer la vie de roses, dont 011 devait respirer les «parfums sans toucher aux épines,» tels étaient les préceptes fondamentaux de la secte cyrénaïque. L ’on conçoit que de pareilles idées répandues dans une société, étaient bien plus susceptibles d’en relâcher les liens, que propres à cimenter cette union qui fait la force des états; et si elles convenaient peii à Cyrène gouvernée par des rois, elles devaient bien moins convenir à Cyrèfie république. Il est presque superflu d’ajouter que ce ne fut point par de pareils mobiles que Sparte et Rome acquirent ce haut degré de puissance qui les rendit maîtresses de tant de nations ; la pauvreté fit leur force, l’austérité de moeurs la cimenta, et leur union l’agràndit. Des philosophes postérieurs à Aristippe, les Çarnéade et les Eratosthène, firent entendre sous les portiques de Cyrène une morale plus pure; mais quelle influence pouvaient exercer les hautes spéculations des sciences ou les sublimes préceptes de la philosophie sur des esprits énervés et sur des hommes avides de jouir? L ’impulsion était donnée, et ces sages illustrèrent leur patrie sans avoir influé sur ses moeurs. Nous cesserons donc d’être surpris que les Cyrénéens, livrés à une morale voluptueuse et regorgeant de richesses, n’aient jamais pu supporter le poids de la liberté qui s’offrit si souvent à eux : pareils à des enfants capricieux, s’ils mordaient le frein qu’on leur imposait, c’était parce qu’il gênait leurs fantaisies, mais ils trébuchaient aussitôt qu’ils parvenaient à le rompre. Cependant Cyrène, confondue parmi, les nombreuses provinces de l’empire romain, avait perdu sa physionomie originelle ; et ses habitants, outre les peuplades libyennes des environs, offraient un mélange de Grecs, de Romains et d’Israélites. Ces derniers avaient été envoyés en colonie dans la Pentapole par Ptolémée Soter, et leur nombre s’y était depuis considérablement multiplié. Liée avec les Juifs par d’anciens traités qu’elle renouvelait à chaque pontificat, Rome favorisa leur accroissement dans toutes ses provinces, et particulièrement dans celle de Gyrène. Sa protection était surtout nécessaire aux Israélites éloignés de la Judée. Le mépris qu’ils témoignaient pour les autres nations, et leur intolérance sur les croyances religieuses, les rendaient odieux à tous ceux au milieu desquels ils vivaient; mais, habiles à caresser le pouvoir suprême, ils en obtinrent à plusieurs époques des décrets favorables. César, reconnaissant des services qu’il en avait reçus dans sa guerre d’Egypte, les confirma dans les privilèges qu’ils avaient obtenus du sénat, et leur en accorda de nouveaux. Toutefois ce décret, paralysé par la mort de César, n’obtint force de loi que sous Antoine, et à cette époque même, les Juifs de Cyrène, soumise à l’influence du parti de Cassius et de Brutus, ne purent jouir des droits qu’ils venaient d ’acquérir en vertu du sénatus-consulte; ce ne fut qu’après la bataille de Philippes, qu’un nouveau rescrit d’Antoine leur en assura le libre exercice. Les privilèges des Juifs, sanctionnés par les lois, statuaient des exceptions qui leur étaient tout-à-fait particulières : les assemblées et l’exportation d’argent, défendues pour les autres sujets, leur étaient permises; ces faveurs avaient pour objet de faciliter leurs réunions religieuses, le libre transport des sommes qu’ils envoyaient annuellement à Jérusalem, et les capitations qu’ils payaient au trésor du temple. Contrariés à . 1. d,


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