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Ainsi des hommes patients, laborieux, sobres, entreprenants, et si fidèles à leur parole, que l’inviolabilité de leurs serments est passée en proverbe dans toute la L ib y e , de tels hommes, dis-jè, emploient les plus belles années de leur v ie , les fruits de leur utile expérience à aller arracher du fond de l’Afrique des essaims de jeunes nègres, pour les conduire aux marchés du Caire et de Tripoli. Ils mettent entre ces enfants et leur patrie des déserts immenses, les chassent nuit et jour devant eux comme de vils troupeaux, et, chose incroyable, si je n’en avais pas été le témoin, ils forcent, chemin faisant, leur douleur à chanter, de crainte que la mélancolie n’engendre parmi eux une funeste contagion, ce qui, malgré leurs cruelles précautions, arrive bien souvent. On avouera qu’il est fâcheux de voir tant de vertus péniblement acquises et plus péniblement exercées, employées à de pareils résultats. Indépendamment des traditions de l’histoire, d’après la seule idée que j ’ai donnée du sol et de la situation d’Augiles, on ne doit pas s’attendre à ÿ trouver, de même qu’aux Oasis d ’E g yp te , les moindres ves- tieës de ces beaux monuments qu’un habile voyageur,D . . M. Caiîlliaud, dévoila naguère au monde archéologue. Les seuls édifices antiques dont on puisse y apercevoir des traces témoignent mieux que mes paroles le peu de ressources que cette Oasis a dû offrir de tous temps à ses habitants. Ces édifices consistent en grands massifs de briques crues au nombre de tro is , contenant chacun un puits au milieu. Il n’en reste, à peu de chose près, que les fondements ; mais, autant qu’on peut en juger par la disposition de l’ensemble , ce devaient être de grandes tours semblables à celles que j ’ai rencontrées sur le plateau cyrénéen : c’est dire que je les crois aussi d’origine libyenne, puisque les Sarrasins n’ont jamais employé, du moins dans ces contrées, les briques crues pour leurs édifices. Les opiniohs des Arabes sur des monuments antiques ont sans doute une bien faible valeur; mais il en est qui se distinguent par leur simplicité, et par conséquent par leur vraisemblance, et celles- là ne sont point à dédaigner : de ce nombre est le récit que je vais rapporter. C’est le cadi d ’Augiles qui parle ; il est placé sur un de ces monticules de ruines, et avec son long bâton il indique le village : oc Avant oc quil fût bâti, dit-il, là où l’on voit maintenant ces maisons existait - « une plaine couverte de soudes et de roseaux; et à l’endroit même où nous oc sommes s’élevait un château dont les murs se rétrécissant de la base oo au sommet le faisaient ressembler aux pyramides du Caire. Cette forêt oo de dattiers qui nous entoure n’a pas été plantée par les croyants; de « tous temps elle couvrit ce canton : elle forme maintenant nos richesses, « auparavant elle était le prix des fatigues du voyageur. Néanmoins oo quelques familles de pasteurs de la côte venaient chaque année en re- oo cueillir les dattes, conduisant avec eux leurs troupeaux qui trouvaient oo un bon pâturage dans la plaine de soudes. Le château servait à ren- oo fermer la' récolte , et à veiller à sa sûreté : à cet objet, le chef des pas- « teurs l’occupait. Si par hasard il apercevait dans l’horizon quelque « caravane nombreuse, il faisait un signal, et ils accouraient tous vers le « château avec leurs troupeaux, où ils s’enfermaient jusqu’à ce que les « étrangers eussent quitté le canton, s Quoi qu’il en soit des circonstances qui accompagnent cette tradition, le fond en paraît d’autant plus probable qu’il s’accorde avec d’autres à peu près semblables recueillies dans d’autres Oasis, qui semblent aussi n avoir servi que de lieux de campements annuels durant cette période qui séparé la haute antiquité du moyen âge, c’est-à-dire, entre l’expulsion ou la retraite des Libyens ou des Éthiopiens, et la fondation des villages Berbères ou Arabes. II est toutefois certain que les villages actuels d’Augiles existaient au moins dès le quinzième siècle, d ’après le témoignage de Léon l’Africain ; e t , ce qui est plus intéressant, on voyait encore à cette époque les trois chateaux dont je viens dep a rle r: quelques détails du voyageur arabe, à leur sujet, m’auraient épargné bien des paroles. Quant aux époques de la haute antiquité, l’Oasis d’Augiles fut incontestablement habitée ; mais quoique Étienne de Bysanee ait dit qu’il y existait une ville ( i) , je ne crois point qu’il faille prendre ce mot à la lettre, dautant plus que ce géographe n’a pas été sobre de pareilles dé


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