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le piment et le pourpier s’y montrent aussi peu rebelles ; on peut en dire autant de l’ail et de l ’oignon qui occupent à eux seuls de petits champs entiers; mais il n’en est pas de même des tomates, des melons d’eau et des gourmands melloukhièhs, dont on ne peut obtenir, à force de soins, qu’un petit nombre de plantes. Enfin, les seigneurs les plus riches du canton, ceux qui ont à entretenir un cheval, ce qui n’est pas une médiocre affaire dans cette pauvre Oasis, emploient plus de précautions encore pour faire germer dans le sable un peu de bercim, de ce trèfle symbole des gras pâturages de la vallee du Nil. Le bey Abou-Zeith m’en montra avec orgueil auprès de sa demeure une prairie d’une vingtaine de pieds d’étendue. Isolés au milieu des déserts, n’ayant dans leur triste patrie brûlée par le soleil aucune des compensations que les autres Oasis offrent a leurs habitants, ceux d’Augiles ont dû être essentiellement voyageurs. Ils se destinent dès l’enfance à cette carrière, et ils y deviennent fort habiles. Je dis habiles, puisque, par la situation du sol ingrat quils habitent et par l’indispensable besoin d’en sortir quelquefois, l’art de parcourir les déserts doit être à ces hommes, ce que l’art de naviguer serait à des insulaires relégués sur de stériles rochers. L a connaissance des astres est, comme on s’en doute, le point fondamental de cet a rt; ils en conservent avec soin les principales notions qu’ils se transmettent de père en fils. Quant aux procédés de l’enseignement, ils sont peu compliqués : le seuil de leurs cabanes est leur observatoire, leurs télescopes sont leurs regards perçants qu’ils peuvent promener à l’aise sur l’immense pavillon qui se déroule, sans taches, au-dessus de leurs têtes. Qu’un Européen aille assister aux séances pastorales de ces académies du désert; l’objet en vaut la peine. Qu’il aille s’asseoir au-devant de la cabane rustique Jj sur le sable rafraîchi par les brises de la nuit, au milieu des vieillards, des femmes et des enfants ; et il verra l’ancien du village, dont là figure vénérable s’animera aux rayons de la lune, indiquer à l’assemblée de la voix et du geste les diverses constellations ; il l’entendra décrire les cercles et les ellipses des planètes, dénombrer les étoiles fixe s, les nommer par leurs noms classiques quoique altérés par la langue et les traditions, et désigner par leur moyen les routes inaperçues sur les plaines unies du désert, mais tracées -dans le firmament : il sera frappé de la patriarcale simplicité dé ses paroles et de la religieuse attention de l’auditoire. Il entendra ensuite les jeunes gens répéter avec recueillement les leçons du vieillard ; il verra même de petits êtres tout nus, assis sur les genoux de leurs mères, lever leurs mains enfantines vers le c ie l, et balbutier les noms des guides futurs de leurs lointains voyages; puis, à une sévère réprimande, cacher leur figure honteuse dans le sein maternel. Le pétillant vin de palmier terminera la séance ; il répandra la gaieté parmi les assistants, et l’Européen en les quittant conservera une longue impression , je n’en doute p o in t, de cette séance pastorale formée dans un coin du désert, et dont il ne pourra sûrement contester l’utilité. Les approvisionnements de comestibles que les habitants d’Augiles sont obligés d’aller faire chaque année à Ben-Ghazi, commencent à mettre en pratique leur éducation voyageuse. Ces approvisionnements consistent en céréales, beurre et bestiaux contre lesquels ils échangent leurs dattes, dont la qualité exquise, de beaucoup préférable à celles des autres Oasis libyques, fut appréciée même dans la haute antiquité (0 -, 1 ,e voyage de Tripoli, moins nécessaire pour eux, est aussi moins fréquent. Ils se rendent plus souvent à Syouah, mais ils ne font ordinairement que s’y arrêter quelques jours, pour continuer ensuite leur route vers la vallée du N il, où ils apportent les peaux de chèvres et le miel des montagnes de Bareah, et un petit nombre de plumes d’autruche, fruit de leur propre chasse aux. environs d ’Augiles. Mais ces courtes excursions sont généralement abandonnées aux jeunes gens encore inexpérimentés, et à quelques vieillards leurs guides, qui terminent ainsi leur carrière comme ils l’ont commencée. Les grands déserts du sud, la spacieuse vallée du Soudan, en un mot les provinces centrales de l’Afrique et particulièrement la ville de Tombouctou, tels sont les lointains et productifs voyages qu’entreprennent les hommes dans la force de l’â g e , et dont la durée atteint quelquefois plusieurs années : le commerce des esclaves en est malheureusement l’objet exclusif.


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