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éprouve pas une impression pénible. Il tourne le dos à l’Europe, et son horizon se déroule à ses yeux en plaine mobile et sans bornes : L à , nulle végétation, quelque grêle et grisâtre qu’elle soit, ne fait hâter le pas du chameau, et n’interrompt la monotonie de sa marche; nulle colline, quelque aride et calcinée qu’elle so it, ne coupe la nudité du désert et ne suggère au voyageur de vagues rêveries par ses formes fantastiques ; nul palmier solitaire, agitant au loin sa cime au gré des vents, ne provoque les chants de l’arabe par l’annonce de la source hospitalière; nul troupeau de gazelles, se jouant dans la plaine, ne vient distraire la caravane attristée : l ’hyène même et les autres fauves de Libye ne s’aventurent jamais dans cette zone brûlée, et le silence de ce tombeau de la nature n’est pas même troublé par leurs hurlements nocturnes. Un ciel de feu , un sol constamment u n i, du sable, toujours du sable, rien que du sable sans eau, telle est la région qui s’étend du littoral des Syrtes jusqu’à la station de Rassam; et cet espace, en n’en parcourant qu’une ligne, forme au moins trente lieues d’étendue. Et cependant une telle région non-seulement fut toujours habitée dans l’antiquité, mais les hommes s’en disputèrent même la possession. Pour concevoir de pareils faits, dont on ne peut douter d’après d’irrécusables renseignements historiques, il faut admettre que lorsque la civilisation occupait les montagnes voisines, et attirait par l’espoir des déprédations les peuplades de l’intérieur de l’A fr iqu e , la région de la grande Syrte devait offrir des vallées habitables, et rendues telles par les efforts de ceux qui étaient venus s’y établir. Quelques puits creusés çà et là, quelques canaux semblables à ceux de la Marmarique, auront réuni les pluies de l’hiver dans les bas-fonds, et répandu un peu de végétation sur des plaines maintenant envahies par les sables. Cette supposition se change d’ailleurs en certitude, si l’on observe que les Psylles, premiers habitants de la Syrte, y avaient creusé des citernes, au rapport d’Hérodote , et que ce ne fut que par leur dessèchement qu’ils se virent contraints d’abandonner leur p a y s , et d’aller faire cette guerre allégorique au vent du midi, auteur de leurs maux (i). Quoi qu’il en soit, c’est dans ces lieux que les Nasamons, après le départ des Psylles , fixèrent leur séjour ; c’est là qu e , malgré les conditions indispensables de mon hypothèse, cette pauvre peuplade voyait de temps en temps ses rares moissons et ses champs mêmes emportés par les vents : Régna videt pauper Nasamon errantia vento. Aussi les usages des Nasamons paraissent avoir été appropriés à la nature du sol qu’ils habitaient. Ils n’occupaient point des tours comme les Libyens de la région montueuse; ils 11e se construisaient point des maisons comme les Maxyes leurs voisins ; ils n’avaient point des tentes commes les Scénites des environs d’Ammon ; mais ils se faisaient avec des asphodèles et des joncs entrelacés de petits logements qu’ils transportaient d un endroit à un autre, et qu’ils pouvaient placer partout sur ces sortes de terrains mouvants (ijj. On pourrait aussi attribuer aux mêmes causes le soin qu’ils prenaient de ne pas laisser expirer leurs proches couches sur le d o s , et de les tenir assis, de crainte peut-être que leur corps ne disparût sous les sables (2) ; et leurs chasses de sauterelles, mesquines mais nécessaires ressources, auxquelles ils étaient obligés de recourir en été, pour subvenir à leur nourriture (3), L a saison de l’automne leur était plus favorable : ils s’éloignaient alors de l’aride littoral où ils laissaient leurs troupeaux, et se rendaient à l’Oasis d’Augiles, dont les habitants hospitaliers leur permettaient de recueillir une partie des dattes qui croissaient abondamment dans leur canton (4).. Lexcessive stérilité de la patrie des Nasamons, et la pauvreté qui en résultait pour eu x , pourraient pallier en quelque sorte la mauvaise réputation que leur ont faite quelques auteurs de l’antiquité, à cause des déprédations qu’ils commettaient sur les navires jetés sur leurs côtes par les tempêtes', et au moyen desquels un d’entre eux dit ingénieusement qu’ils faisaient le commerce avec tout l'univers ($j. (1) H érodote, 1. IV, 190. (2) Id. ibid. (3) Id. ibid. 172. (4) Id. ibid. 172, 182. P lin e , Histo. natur. 1. V, c. 4. (5J. Lücain, Phars. 1. IX , v. 443, 444.


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