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*54 V O Y A G E D A N S L A .M A R M A R IQ Ü E fa it , ajoute que les Cyrénéens avaient contribué à détruire le silphium, pour se délivrer, des impôts énormes dont il était l'objet; et Pline, après avoir dit qu’il croissait dans les endroits âpres et incultes , assigne pour cause de sa disparition ses qualités mo-rbifiques sur les troupeaux. Si l’on se rappelle maintenant ce que j ’ai dit du funeste effet de cette plante sur le bétail étranger à la Cyrénaique, et principalement sur les chameaux, on ne sera point surpris que les Libyens qui se servaient, d’après Synésius, de cet animal pour leurs incursions dans la Pentapole, aient cherché à détruire une herbe qui les exposait a perdre peut-être plus par la mort de leurs montures, qu’à gagner par leurs rapines. Si l’on ajoute à cette cause première les dilapidations des gouverneurs romains, dont.le silphium était un des principaux objets; si l’on se rappelle la manière dont on tirait le suc de la plante, manière tellement meurtrière pour elle que, dans l’Autonomie même, la prudence avait dicté des lois pour veiller à sa conservation ;* en réunissant ces causes diverses, on ne sera certainement pas surpris que le silphium, limite a la lisière septentrionale de la Pentapole libyque, en butte a tant de vicissitudes, contrariant tant d’intérêts, ait fini par disparaître peu à peu de cette contrée, au point d’y en conserver une tige comme une rareté. Que si nous le trouvons de nouveau abondant de nos jours, la cause en est plus claire encore. La nature peut ê tre, pendant quelque temps, contrariée par les hommes ; elle cède à leurs efforts persévérants; mais, dès que ces efforts se ralentissent, elle ne tarde pas à reprendre ses droits. Le silphium fut déraciné par les Libyens étrangers, détruit par les Cyrénéens malheureux ; mais les Libyens et les Gyrenéens ayant disparu de ces montagnes, une plante qui y était indigène a dû peu à peu s y reproduire. Un ou deux individus isolés ont suffi pour opérer le prodige ; les vents en ont dispersé les graines ailées dans les solitudes ; et le silphium de Battus a reparu de toutes parts dans sa patrie. C’est ainsi que je l’ai vu couvrir encore de nos jours les montagnes de la Libye : sa renommée ne s’étend plus chez les nations lointaines ; on ne l’enferme plus dans les trésors, on ne l’offre plus en présent aux rois et aux dieux. Singulière révolution des choses humaines ! Après que plusieurs siècles de civilisation ont passé sur le sol de Cyrène; après que le plus beau présent que la nature y avait fait aux hommes, détruit par eux , en avait disparu avec eux ; aussi frais, aussi vigoureux que dans les âges antiques, 1 e silphium , jeté sur des tisons ardents, sert aujourd’hui de nourriture à quelques pâtres désoeuvrés, seul et même usage qu’en faisaient les As- bytes avant l’arrivée des Grecs en Libye. D’autres plantes , quoique moins célèbres que le silphium, ont néanmoins contribué à l’illustration des champs de la Cyrénaique. Le thyon, appelé par les Latins citrus, était un arbre que les anciens employaient à différents usages, à cause de l’incorruptibilité de son bois, et du parfum qu’il répandait. Le tronc servait, je l’ai déjà dit, à la construction des temples ; rien n’était mieux madré que la racine, et dont on fit de plus beaux ouvrages. C’est avec elle qu’on faisait les tables vineuses consacrées aux fêtes de Bacchus ; car les philologues ont prouvé que le nom de Thyades donné aux Bacchantes avait infailliblement rapport à ces tables de thyon, dont l’analogie avec le culte de Bacchus est d’ailleurs constatée par Pline. Le thyon doit, en outre, sa plus grande célébrité au prince des poètes : tout le monde se rappelle qu’Ho- mère le place au nombre des bois odorants dont Circé parfumait sa grotte. Il croissait indubitablement, d’après le témoignage de Théo- phraste, dans la Cyrénaique (i). Parmi les arbres qu’on y trouve mainte* n an t, il n’en est aucun, comme l’a dit Della-Cella, qui paraisse mieux convenir au thyon, soit par la grande hauteur et les fortes dimensions du tronc , soit par le parfum qu’exhale son bois et la beauté de la racine , que le genévrier de Phénicie dont j ’ai si souvent fait mention. On peut aussi faire remarquer, en faveur de cette identité, et d’après une observation déjà faite je crois autre part, qu’Homère, joignant dans le (i) Theophr. Hist. plant. 1. I , c. 16; 1. V, c. 5. Ce naturaliste ajoute que le thyon croissait aussi aux environs d’Ammon ; et cette version à été adoptée par tous les traducteurs. 11 y a, ce me semble, erreur, ou dans le texte grec de ce passage, ou dans les traditions qui l’ont dicté : le terrain salé de l’Oasis d’Ammon et de celles qui l’avoisinent, très-propre auxtamarix et aux palmiers, dont il est couvert, ne me paraît pas susceptible d’avoir produit, dans aucun temps, un arbre au bois odorant, et probablement un conifère, tel que doit être le thyon, en supposant même que ce ne soit pas le genévrier de Phénicie.


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