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chèvres devaient former la majeure partie des troupeaux de menu bétail de ces anciens nomades, ainsi qu’elles la forment parmi ceux des modernes ; et ajoutons ensuite que le ciel de la Libye est beaucoup plus favorable aux chèvres qu’aux moutons. Ces derniers ne peuvent, en général, habiter la région boisée qu’en été seulement ; en hiver les pasteurs arabes sont forcés de les conduire dans les plaines du su d , q u i, dépourvues de haute végétation, et entrecoupées alors de vallées herbeuses, leur offrent des pâturages abondants, sans les exposer aux violents orages qui régnent dans cette saison auprès des terrasses maritimes , et qu’ils ne peuvent aisément endurer. Les chevres au contraire n’en souffrent nullement, et se plaisent a grimper a leurs escarpements abrupts; aussi s ’y trouvent-elles en nombre prodigieux dans toutes les saisons : tout porte à croire qu’il en fut de même dans l’antiquité. Un autre animal domestique qui existait dans la campagne de Cyrène , et qui en est exilé maintenant par les lois de Mahomet, nous offre une observation curieuse sur l’hygiène des anciens Libyens; on se doute bien que je veux parler du porc. Cet animal, dans son état sauvage, se trouve dans toute la partie de la Libye septentrionale occupée par les sables ; il semble donc que les habitants indigènes de cette contrée auraient dû profiter de ce présent que leur offrait la nature, pour subvenir à leur existence au milieu de plaines arides. Néanmoins, les traditions les plus reculées rapportent que les Libyens s’abstenaient de manger de la viande de cet animal domestique ou sauvage, contrairement aux Cyrénéens qui en étaient gourmands^}. La même abstinence était observée par les habitants de Barcé; ce qui, soit dit en passant, confirme les conjectures que j ’ai émises ailleurs sur l’origine libyenne des Barcéens. De tous les usages prescrits par le législateur arab e, il n’en est aucun sans doute de plus conforme au climat chaud de l’O rient, que celui de s’abstenir de la chair lourde et indigeste du p o r c , et il me paraît hors de doute que c’est au pernicieux effet de cette nourriture qu’il faut attribuer la sobriété des Libyens à ce sujet ; sobriété d’autant plus remarquable qu’ils s’étudiaient la plupart à imiter les usages des Cyrénéens (1). Aussi on n’est pas surpris , d’après de telles précautions, qu’Hérodote ait dit que de tous les peuples connus à son époque, aucun ne jouissait d’une aussi forte santé que les Libyens (2). Cependant, parmi les grands avantages dont la nature avait doué la campagne de Cyrène, il s’y mêlait aussi quelques inconvénients, accidentels , il est v r a i, mais qui n’en étaient pas moins graves. Les champs comme les bestiaux , et même les hommes , furent continuellement exposés à des invasions pestilentielles de nuages de sauterelles. - Les Cyrénéens des premiers âges de la colonie cherchèrent à prévenir les dangereux effets de la pullulation de cet insecte dans la Pentapole, par une loi qui ordonnait aux habitants de détruire chaque année, sous peine d’amende, la race de cet insecte dans les différentes phases de sa génération et de son développement (3). Ces précautions paraissent avoir eu d’heureux résultats pendant l’Autonomie; et ce ne fut que lorsqu’on les eut abandonnées par la négligence des préteurs romains, que les sauterelles exercèrent de cruels ravages dans la Cyrénaïque. L ’histoire a principalement signalé une de leurs effroyables invasions dans cette contrée, sous les consulats de Plaute Hypsée et de Fulvius Flaccus. Ces insectes y arrivèrent en si grand nombre de l’intérieur de l’Afrique , que poussés par les vents dans la me r, et par la mer sur le rivage, ils occasionèrent par leur corruption une epidemie qui fit périr huit mille Cyrénéens et la majeure partie de leurs troupeaux (4). Ces surprenantes invasions se renouvelèrent dans le cinquième siècle ; et dans ces temps désastreux, à ce fléau se joignirent les tremblements de terre, la peste, les incendies, la guerre, qui désolèrent tour-à-tour l’infortunée Pentapole (5). Toutefois il suffisait de quelques intervalles de paix , et de l’équilibre rétabli parmi les éléments, pour que la campagne de cette belle partie (1) Hérod. 1. IV, 170. (a) Id. ib. 187. (3) P l in e , Hist. natur. 1. X I , c. 29. (4) Junus Obsequens, de Prod. c. 90. O ro s e , 1. Y , c. 1 1 . (5) Synes. Epist. 58.


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