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Ce temple fut élevé avec les débris d’édifices plus anciens. Des fragments d’inscriptions renversées, des blocs de pierre de diverse nature, intercalés dans ses assises, l’indiquent suffisamment. Quoique j ’aie eu souvent l’occasion de faire cette observation , je la reproduis i c i ,' parce que la cause s’y reproduit, pour ainsi dire, sur une plus grande échelle. _ Les matériaux précieux, tels que le marbre , le porphyre et le granit, étrangers, je le répète, an sol de Cyrène , y étaient transportés de loin , et ils ne le furent probablement que sous les règnes brillants de l’Autonomie On dut doñease servir, pour flatter la vanité d’un prince romain; des matériaux dont on s’était précédemment servi pour flatter celle d’un prince lagide, lesquels avaient sans doute déjà été enlevés aux monuments érigés en l’honneur d’un Battus ou d’un Arcésilas. C’est là l’histoire de l’archéologie de la Cyrénaïque, sanctionnée par la plupart de ses monuments ; c’est là la causé de sa dénaturalisation sur son propre sol ; en un m o t, c’est là ce qui rend le plus souvent méconnaissables les débris épars des édifices antiques, et ce qui tromperait infailliblement celui q u i, à l’aspect de leur confus mélaüge, voudrait assigner à l’ensemble une origine et une époque précises : ce serait, en d’autres termes, vouloir soutenir qu’un griffon est un aigle ou un lion. Pour en revenir au temple de César, non seulement sés murs sont barioles de dépouilles de divers âges ; mais parmi le grand nombre de ses colonnes dispersées çà et là sur le so l, il en est peu qui se ressemblent, soit par la forme, soit par la nature de la pierre. On en voit de rondes1, de torses et de cannelées ; les unes sont en marbre blanc, leS autres en granit rose, et d autres en porphyre bleu. A ees détails, il faut èn ajouter un plus intéressant, et qui me paraît évidemment se rattacher à fie temple. Hors de son enceinte, mais à soixante-dix mètres seulement vers l’ouest, on trouve le torse d’une statue colossale en marbre blanc',’ représentant un guerrier. La cuirasse, enrichie de sculptures d’un travail f in i, est d’une belle conservation ; Un y distingue les emblèmes suivants : au milieu du poitrail une figure de femme ailée, la tête couverte d'un casque, et tenant d’une main un glaive et de l’autre un bouclier, se tient debout sur une louve : il est presque inutile de dire que c’est là l'emblème de Rome la guerrière, portée par l’animal qui allaita son premier foi. Deux autres figures également ailées, sculptées latéralement à la précédente, paraissent représenter les génies qui présidaient aux destins de la ville héroïque. Les écailles semi-sphériques de la cuirasse qui recouvrent les bandelettes libyennes ( f j , contiennent aussi chacune des sculptures en relief, disposées symétriquement, parmi lesquelles on remarque des dauphins , les têtes de Mercure et d’Apollon, les aigles de Rome, et autres symboles qui contribuent à orner ce beau torse sans trop le charger (2). Si l’on se rappelle maintenant la situation de ce précieux monument , si l’on observe ses dimensions colossales et le fini du travail, il est hors de doute qu’on 11e manquera pas de reconnaître en lui la statue de l ’empereur César, que les Barbares, en dépit de son apothéose, ont chassée de la superbe enceinte, et fait rouler dans ce champ avec les colonnes et les voûtes qui en relevaient autrefois l’éclat. Pour le coup, on excusera le voyageur s’il ne peut s’empêcher de réfléchir à la destinée subversive des grandeurs humaines, s’il ne peut s'empêcher dé sourire à l’aspect de tant d’orgueil réduit à tant d’humiliation. Debout devant ce tableau philosophique, et seul être pensant au milieu d’un vaste désert, il serait disposéà dire là- dessus bien des choses; mais par bonheur pour le lecteur qu’un laboureur nomade parcourt la plaine de Cyrène g sa charrue à laquelle est attelé un chameau en sillonne les champs ; elle s’approche du temple de César, heurte contre ï’homme-dieu à demi-enfoui dans la terre, écorne l’image de Rome et de ses génies protecteurs. A cette rencontre, le Libyen pousse u n ’cri rauque, et s’emporte contre la rocaille qui encombre ses guérets: l’Européen alors s’éveille; il trouve dans ce nouvel accident un nouveau texte à ses réflexions ¿mais auprès du susceptible nomade, il se garde bien de lés faire à haute v ô îx , et se décide enfin à aller rêver ailleurs. A l’ôuest du temple de César, on rencontre des ruines peu apparentes, éi) Hérodote affirme que les Grecs ont emprunté dés Libyensfégide. 'de Minerve,* originairement déesse de la peuplade des Auséens qui habitait lés bords de la grande Syrte. Les femmes de ’dès Libyens, dit-il, et cette assertion est confirmée par Hippocrate et Apollonius de Rhodes, s'habillaient die peaux de chèvres, dont une partie, coupée en petites bandes, pendait sur leurs genoux en guise de franges, ce dont les Grecs ont fait des sérpènts.' Le père de l'histoire a pris mêmè le soin de faire remarquer que le nom grec Égide, vient de ces vêtements libyens (1. IV, 189)'.’ k’r; (2) Voyez pl. LIX.


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