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Nous voici rendus à la lumière, et lorsque nous nous sommes assez égayés réciproquement de l’état où notre curiosité nous a m is , force nous est de faire sécher au moins nos draperies : en attendant que nous puissions les reprendre ; je vais chercher à utiliser mon temps. Je me promène auprès de la grotte de la fontaine , j ’en parcours attentivement les moindres recoins ; et une inscription grecque, que je n’avais pas d’abord aperçue, vient frapper mes regards : elle est gravée sur le rocher dans un léger enfoncement de forme elliptique, et contient ces mots connus depuis long-temps du monde savant : L ’an X I I I , Denys fils de Soter, exerçant la prêtrise, a fa i t réparer la fontaineffi). Cela ne m’apprend pas grand’chose; et la mémoire remplie de souvenirs historiques, je cherche à leur trouver d’autres appuis dans d’autres faits. A cet objet, je monte sur la colline d’où jaillit la source. De ce point élevé, ma vue porte au loin dans l’horizon, et je puis d’un coup d’oeil embrasser l’étendue et la direction des ruines de la ville. L’aspect que ces ruines me présentent est loin d’être encourageant ; il est loin de répondre à la haute renommée de l’illustre Cyrène; nimporte, je suis maintenant le cours de ma recherche, et j ’essaierai ensuite de glaner quelques faits parmi ces débris défigurés. Cyrène est eparse devant moi, en agglomérations de pierres qui s’étendent fort loin dans le sud : plusieurs sentiers croisés par d’autres plus petits sillonnent ces ruines , en suivent la même direction , et m’aident surtout à en distinguer l’étendue. Aucune trace des murs de la ville n’a résisté aux outrages du temps ; mais par l’axe général des ruines, et par la forme irrégulière de. leur ensemble, 011 reconnaît évidemment le trapèze que décrivait Cyrène, selon les traditions de l’antiquité. Si je porte maintenant les yeux vers la source qui jaillit à mes p ieds, je serai assuré qu’elle se trouvait dans l’enceinte même de la ville; et (1) Traduction de M. Lettonne, d’après une copie rapportée par Della-Cella ( Annal és des Yoyag. par Eyriès et Malte-Brun, t. X V I I , p. 33y). cette siitiplé observation me dévoilera une foule de traits historiques , attachés à cette intéressante localité. C’est donc là , me dirai-je, cette fontaine d’Apollon, autour de laquelle s’élevèrent les murs de Gyrène (i) ; c’est là cette grotte riante de Cyré, ce frais et verdoyant asile auprès duquel Callimaque^ chanta le bain de Pallas (3) et les exploits du Dieu de l’harmonie (3) ; c’est là ce lieu séduisant promis par les Giligammes aux colons d’A ziris ; è ’est l à , sous mes yeux, dans ce champ qui s’étend au-devant de la fontaine, que Battus fit poser ses tentes voyageuses (4)* Il me semble voir le descendant d’Eu- phème à la tête de ses compagnons, au beau visage attique , au front large et élevé, au corps couvert d’ondoyantes draperies, se désaltérer dans l’onde cristalline qui murmure à mes pieds, y faire de pieuses ablutions, et remercier Foracle de Delphes de ses ordres bienveillants. Les Asby tes, accompagnés de leurs femmes couvertes de peaux de chèvres teintes de rouge de garance, accourent de la forêt voisine; des javelots, des haches de pierre tranchante et des massues sont à leurs mains (5)^; sur leur teint bronzé brillent des yeux vifs et même un peu farouches, néanmoins ils n’ont rien de menaçant, et annoncent au contraire des intentions pacifiques. Pasteurs, ils accueillent avec bienveillance des étrangers qu’ils prennent pour des pasteurs : ils se joignent aux Giligammes ; ils invitent les Grecs à défricher ce fertile canton. La terre, leur disent-ils, est commune à tous les hommes; qu’ils la cultivent en p a ix , et ils vivront en frères. Battus accepte l’offre hospitalière : il prend possession des environs de la fontaine; mais, au lieu de tracer des guérets ; ,il trace les murs d’une grande ville (6). Ce- " (!i‘) Pind. Pyth. IY. - (a) Callim. Lavacr. Pallad. (3) Idem, Hymn. in Apoll. , ,(4) Hérod. !.. IV, i 5,8, ' (5) Diod. 1. IV, c.' 4. " (6) Je suis ici, comme dans l’Introduction historique, la tradition d’Hérodote préférable ment à celle de Callimaque, pour ce qui concerne la cause et les circonstances de l’arrivée de Battus à la fontaine d’Apollon. Selon Callimaque, ce fut un corbeau qui conduisit les colons de Théra auprès de cette fontaine; et il n’est pas inutile de dire que cette tradition, comme la plupart de celles des anciens, est fondée sur une observation locale. Le corbeau est le seul oiseau que l’on rencontre partout en Libye , et particulièrement dans les zones de sable. Or, cette remarque, qui me paraît propre à expliquer I 2gr


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