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être celles de loups ou de renards. Ces témoignages valent bien les magiciens et les spectres ; aussi nous arrêtons aussitôt notre marche. Néanmoins la réflexion succède à la surprise, et l’on essaye de distinguer la direction des empreintes. La plupart sont tellement posées les unes sur les autres, comme les pas des voyageurs sur un chemin battu, qu’il est impossible de se faire à ce sujet aucune idée exacte. Mais on ne tarde pas à s’apercevoir que ces traces sont recouvertes d’une légère couche de terre d’alluvion ; on joint ce fait à celui des interruptions qui divisent_ le petit sentier, et l’on en induit que le volume d’eau , grossi en hiver par la filtration des pluies, couvre à cette époque une partie du sentier qui doit être entièrement découvert en é té , et que par conséquent les fauves ne doivent chercher un repaire dans le souterrain que durant cette dernière saison. Rassurés par ces observations qui nous promettent de ne faire aucune fâcheuse rencontre, nous nous empressons de continuer notre marche. Que l’imagination empreinte de croyances fantastiques a de pouvoir sur les hommes, même sur ceux d’un courage éprouvé ! Notre brave et fidèle Nubien fait bonne contenance; il avance, le flambeau à la main; mais les traits de sa figure dissimulent mal la frayeur qui l’agite intérieurement. Il s’efforce de la dompter par de verbeuses protestations ; à l’entendre, les Arabes sont des enfants ; pourquoi ne pénètrent-ils pas dans ce souterrain ? où sont les objets de leurs contes ridicules ? Voyons s’il tiendra bon jusqu’au bout. Quoique l’axe général du canal soit du nord au sud, il décrit toutefois quelques sinuosités, nécessitées par l’état plus ou moins sain des couches de la roche. En détournant un de leurs coudes, un sourd mugissement se fait entendre, nous en soupçonnons' la cause : cependant le Nubien s’est tu tout-à-coup ; il avance encore, mais il avance en tremblant : le bruit augmente ; pour le coup il n’y tient plus, il s’arrête ; le flambeau va s’échapper de ses mains ; nous nous en emparons, et cet intrépide jeune homme qui n’a reculé devant aucun danger, tremblant maintenant comme un enfant, se glisse à la hâte derrière nous. La rumeur concentrée dans ce corridor étroit, en frappe la colonne d’air de telle manière, qu’elle produit l’effet de voix rauques et glapissantes. Nous ne tardons pas d’arriver à l’endroit d’où part ce singulier vacarme, et nous trouvons au côté oriental, et à-peu-près à la moitié de son etendue, une crevasse caverneuse, par où se précipite avec fracas un volume deau considérable; Ce gouffre, trop étroit pour en distinguer a 1 aide d un flambeau la forme intérieure, paraît, au son que produit l’eau, pénétrer très-avant dans le sein de la montagne, et tomber à une centaine de pieds au moins au-dessous du niveau du canal. Si l’on pouvait émettre à ce sujet quelque conjecture, il serait possible que ce torrent souterrain allât déboucher à une caverne située à l’extrémité occidentale de la Nécropolis, d’où jaillit un ruisseau qui, pour donner plus d extension encore à cette idée, se rendait peut-être autrefois aux magasins de la station d’Apollonie, par l’aqueduc dont j ’ai précédemment indiqué les ruines. Hormis cet accident, le reste du canal n’offre plus rien de remarquable. Nos précédentes observations furent heureusement sanctionnées par l’expérience ; aucune rencontre ne nous arrêta dans notre visite ; et dans plusieurs endroits où le sentier des fauves s’élargit , nous le trouvâmes couvert d ossements de chameaux et d’autres quadrupèdes, restes des proies apportées du désert, et dévorées en ce lieu. Enfin-, dès qu’on est parvenu à cent cinquante mètres de distance de l’entrée, le travail de l’homme finit, et l’on ne voit plus que celui de la nature. Là le canal, terminé dahs sa partie supérieure en angle droit, présente encore au-dessous une ouverture irrégulière par où l’on ne peut passer qu’en se traînant à plat ventre dans l’eau; et l’on arrive de cette manière dans une grotte très-large, mais peu élevée , et tapissée de stalactites. Si l’on est encore poussé par la curiosité, il faut conserver la même position qu’on a prise en entrant, et s’avancer ou plutôt serpenter à travers les rocailles ; la vue se perd alors de tous côtés dans les ténèbres, l’eau ruisselle de toutes parts; elle paraît surgir de la te rre; elle coule perpendiculairement de mille crevasses du plafond cristallisé ; on est dans l’eau jusqu’au cou, on en a la tête inondée; enfin, après, s’être ainsi traîné çà et là dans les entrailles de la montagne, après avoir reconnu une ouverture pratiquée au plafond parmi les stalactites; on se voit forcé de se retirer, car avec l’embarras des formes humaines on ne- saurait pousser plus loin Cette aquatique reconnaissance.


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