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CHAP I TRE XVI. Cyrène. E n suivant le chemin qui de la Nécropolis conduit à la plaine exhaussée , sur laquelle sont épars les débris de Cyrène, on ne peut faire autrement que de s’arrêter auprès dune belle source, qui jaillit avec force du sein d’une colline, située entre les ruines de la ville et le revers du plateau. Cette source, réunie d’abord en une seule nappe d eau , remplit un canal spacieux creusé fort avant dans la montagne. Dès qu elle est arrivée à l’extrémité extérieure de son lit souterrain, elle rencontre un massif de rochers d’où elle s’échappe en bouillonnant, et va former immédiatement au-dessous un réservoir abrité par une voûte spacieuse, fruit de l’art aidé de la nature. Ce petit bassin, entouré de roches moussues, réfléchit de toutes parts des touffes épaisses de cheveux de Vénus et d’autres espèces d’adiante, ornement inséparable des grottés de la Cy- .rénaïque, et que l’on trouve ici comme type dans tout son éclat. Cependant la nappe d’eau déborderait de tous côtés du réservoir dans les champs voisins, si un ancien canal, formé de gros blocs de pierre équarris, ne lui offrait un nouveau lit qui la conduit, pendant deux cents mètres environ, jusqu’à un mur d’étaiement fort élevé, qui s’étend devant la fontaine. De ce dernier lieu elle se précipite avec fracas, parmi des bouquets de lentisques et de cytises, sur le sentier de la Nécropolis, descend ensuite de cascade en cascade les échelons de la montagne, suit tantôt le lit sinueux que les anciens lui ont creusé dans la roche, tantôt elle le quitte, puis le reprend encore, jusqu’à ce qu’elle soit arrivée à la plaine rocailleuse qui règne au bas de la Nécropolis. Alors elle pénètre dans une petite vallée, se joint à un gros ruisseau formé par plusieurs sources de l’ouest, et coulant, avec lui vers le nord, se perd enfin au milieu des ravins et des sinuosités du terrain , q u i, là comme ailleurs, finissent toujours par arrêter et absorber le cours des eaux, à force de leur présenter des obstacles et de les subdiviser. Après ce coup d’oeil sur le cours extérieur de la plus abondante des sources de la Cyrénaxque, quelqu’un sera peut-être curieux de connaître le canal souterrain. Ceci est une bien autre affaire. Écoutons les récits des graves Scénites du canton : des magiciens et des spectres munis de baguettes miraculeuses et d’épées flamboyantes, des roues qui tournent continuellement avec un fracas épouvantable, et je ne sais quoi encore , ont interdit de tout temps, disent-ils avec la meilleure foi du monde, l’accès de ce gouffre ténébreux au mortel le plus téméraire, ou bien ils n’ont jamais laissé son audace impunie. Cependant, comme mon questionneur peut ne pas être très-effrayé de ces histoires terribles, et qu’il persiste probablement à vouloir connaître le souterrain, nous allons essayer de le parcourir ensemble. Un de mes Nubiens se laisse persuader : le voilà muni d’un flambeau, il ouvre la marche. A quelques pas de l’entrée, nous enfonçons dans l’eau jusqu’à la ceinture : nous sommes dans le mois de février, et ce bain ne laisse pas que d’être un peu froid; n’importe , nous avançons. Le canal atteint cinq pieds de hauteur ; sa largeur permet rigoureusement à deux personnes de marcher de front; et ses parois, sans être d’un travail f in i, offrent assez de régularité : on y distingue des couches schisteuses alternativement de rouge v if et de jaune foncé. Le temps a charrié dans le fond un fort dépôt de terre argileuse, et tellement glissante, que nous sommes obligés de nous appuyer contre les parois latérales pour conserver notre équilibre. Nous avons pénétré ainsi assez avant dans le souterrain, et nous continuons d’y trouver les mêmes détails auxquels.il faut toutefois en ajouter un accidentel, mais d’un intérêt particulier. Sur un des côtés du canal, et presque au niveau de l’eau, nous avons remarqué de temps en temps une bande étroite de terre, sur laquelle étaient de légères traces qui n’ont que vaguement attiré nos regards. Cependant, parvenus à un endroit où la bande de terre est plus large et les traces plus multipliées, nous voulons en deviner la cause; et ce n’est pas sans surprise que nous reconnaissons de belles et larges empreintes de pattes d’hyène, et d’autres plus petites qui nous semblent


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