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C ’est par une de ces promenades dont je ne prolongerai pas davantage l’inutile confidence, que j ’aperçus, vers le côté occidental de la Nécropolis , une grotte creusée isolément au sommet d’un rocher. J’ai déjà fait part de ma prédilection pour les excavations dont l’accès présentait quelque difficulté, ou était accompagné de quelque chose d’étrange. Quoique las de tant de visites souterraines, je résolus de tenter encore celle-là, et bien m’en p rit, car ma peine ne fut pas perdue. Après avoir escaladé le rocher, je me trouvai dans une petite salle dont les parois, très-unies et peintes d’un vert tendre, lui donnaient plutôt l’air d’un riant cabinet aérien que d’une excavation sépulcrale. Le fond de cette jolie grotte en rappelle seul la destination ; il est occupé par un sarcophage creusé dans le roc, et couronné d’une frise en triglyphes, contenant dans chaque métope une peinture élégamment miniée, et d’une conservation parfaite. Mais ce qui augmenta ma surprise, ce fut de reconnaître dans la série de ces petits tableaux les principales phases, ou les diverses occupations de la vie d’une esclave noire; du moins telle est l’induction que j ’ai tirée de ces charmantes peintures. J’ai cru y distinguer successivement les entretiens de l’amitié, l’éducation de jeune fille, l’ambition de la parure, les délassements figurés par l ’exercice du balançoir, le bain si nécessaire dans la brûlante Libye, et enfin le triste lit de mort sur lequel la négresse est étendue, les yeux éteints, et paraît être regrettée de son maître, le blanc Cyrénéen, que l’on voit à côté d’elle dans une attitude de douleur. La coiffure et le costume de ces miniatures ne sont pas moins remarquables, tant par la forme que par la couleur. Les longues robes bleues sans agrafes, et les schalls rouges entrelacés avec les cheveux, ou couvrant la tête en guise de turban, offrent une analogie frappante avec l’habillement des modernes Africaines, et principalement avec celles qui habitent le Fazzan (i). Mais ces observations, d’ailleurs fondées sur de simples hypothèses, n’ont qu’une bien faible valeur, comparées à la suivante qui présente du moins un document à l’histoire. On sait que les esclaves noirs furent dans l’antiquité très-recherchés (i) Voyez pl. LIV. par les Grecs et les Romains (i). Plaute nous apprend positivement que les Cyrénéens avaient des esclaves à leur service (2?) ; et cette peinture porte à croire qu’à Cyrène du moins', s’il n’en fut de même à Rome et à Athènes, parmi ces esclaves non seulement il y en avait de noirs mais que parmi les noirs il y en avait des deux sexes. Que si l’explication que je viens de donner de ces petits tableaux est douée de quelque vraisemblance, il en résulterait aussi que les Cyrénéens, comme les Orientaux actuels , au lieu de se borner à réduire les jeunes négresses de l’intérieur de l’Afrique qui tombaient en leur pouvoir à l’avilissante condition de domesticité, ils devaient souvent leur accorder des affections plus douces, et se lier avec elles par des relations plus intimes. Je suis d’autant plus porté à adopter cette opinion, que dans le Soudan, contrée de l’Afrique intérieure la plus voisine de Cyrène, le sexe est loin d’y présenter ces difformités du nez et des lèvres qui caractérisent la plupart des Africaines ; e t , si mon témoignage peut être de quelque poids dans cette grave question, j ’ajouterai que les jeunes filles de la vallée du Soudan, avec lesquelles j ’ai eu l’occasion de traverser des zones de sable, par la régularité de leurs traits, la douceur animée de leurs grands yeux noirs, et la svelte souplesse de leur taille, ne sont p a s, il s’en faut beaucoup, des objets à dédaigner. Au reste, quelle que soit la valeur de cette foule de conjectures dont je bariole à chaque instant ce liv re , il me serait aussi difficile de les passer sous silence, que de les établir sur des fondements plus solides. Elles seules donnent, à mes y eu x , un peu de vie aux lieux que je parcours; sans elles, la pensée toujours froide et languissante se lasserait bientôt de l’aspérité des rocailles, et du silence monotone des déserts : elles m’ont soutenu dans ma longue migration en Libye ; puissent-elles soutenir de même celui qui voudra bien en affronter l’aride narration ! (1) T erent. Eunuch. act. I ,. sc. 2. (2) PtAUT. Rudens.


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