Page 132

27f 59

Après une heure et demie de marche des magasins souterrains ; distants eux-mêmes de deux heures d’Apollonie, nous arrivons au pied de la seconde montée. Un large sentier taillé dans le roc est devant nous ; les roues des chars antiques le sillonnent ; nous y pénétrons, et nous suivons avec lui transversalemen t les échelons de la montagne. Mais à peine avons- nous fait quelques pas sur ce chemin, que nous commençons à y rencontrer latéralement d’élégants tombeaux ; nous avançons, et les tombeaux se multiplient, pour ainsi dire , devant nous ; enfin nous avons atteint le point le plus élevé du chemin , et un spectacle imposant se développe alors à nos yeux. Tout le flanc de la montagne, autant que la vue peut en embrasser l ’étendue, se présente couvert de façades de grottes, de sarcophages et de débris de toute espèce. Ces ruines s’étendent fort loin dans la plaine qui se déroule à nos pieds, et couronnent aussi les hauteurs qui nous dominent : nous voilà donc dans la vaste Nécropolis de Cyrène. Cependant cette réunion immense de débris de plusieurs âges et leur poétique désordre frappent tellement la v u e , qu’ils n’y apportent que confusion, et l ’on a besoin de Se recueillir pour pouvoir distinguer tant d’objets d’entre eux. A cet effet , nous nous hâtons de chercher une retraite parmi ce grand nombre de grottes. Nous en trouvons une immense au centre même de la Nécropolis ; elle contient plusieurs salles spacieuses, la caravane entière peut y pénétrer, les logements sont distribués, et nous sommes enfin installés auprès des ruines si désirées. On conçoit toutefois que ce n’est pas sans pourparler, et sans de certaines conditions, qu’un Européen prend ainsi possession d’une caverne fort commode au milieu même des habitants scénites qui occupent le canton. Dès l’arrivée de la petite caravane étrangère , un grand divan est convoqué, et tous les cheiks des environs sont aussitôt accourus. Le cérémonial simple mais imposant du désert, des figures sauvages garnies de barbes noires et touffues, des yeux sévères et pétillants de feu qu’on aperçoit à demi cachés sous de larges draperies, des fusils, des poignards et des chevaux , ornent, composent, entourent la grave assemblée. L ’Européen en occupe le centre : on lui demande d’abord à connaître le motif de sa visite inattendue; il communique l’autorisation du Beÿ : résidant dans sa province, on n’en ferait aucun cas ; absent, on en rit ; il faut donc qu’il songe à d’autres expédients. 11 s’explique avec franchise ; il promet de se tenir à l’écart des terres ensemencées, dé ne parcourir que les rocailles, de ne vivre que parmi les ruines ; puis il fait de petits cadeaux : c’est de la poudre et des armes, objets séduisants pour Ces hôtes du désert. Leurs farouches regards à cet aspect se radoucissent, ils parcourent ensuite l’attirail de l’Européen : point de luxe; des chameaux qui ruminent dans Un coin, pour équipage ; des draperies grossières et des aimes pour costume : cela n’excite pas beaucoup l’avidité -, et sent même un peu la fraternité. Les cheiks hésitent d’abord, puis ils se laissent persuader. On se touche de part et d’autre dans la main, on se fait l ’accolade , 011 partage le pain et le sel : le séjour légal en devient irrévocablement assuré ; enfin l’assemblée se dissout, et l’exploration commence. Les premiers jours furent destinés, comme on doit le supposer, à une inspection générale des lieux , à dresser, pour ainsi d ire , le plan des recherches. Jusqu’à présent, dans toutes les ruines delà Pentapole, lesex- càvations dans le roc ont préalablement attiré notre attention; et cette habitude, contractée dans la visite du plus petit bo u rg , devient une espèce de nécessité dans la capitale. Malgré son immense étendue, on ne peut retrouver quelque idée de son ancienne architecture ! que dans le nombre et la magnificence de ses tombeaux ; et chose singulière! ce qu’elle contenait autrefois de plus lugubre est le seul témoignage qu’elle offre maintenant de sa splendeur passée. Le vaste cimetière de Cyrène é ta it, comme je l’ai déjà bien des fois appelé , une vraie Nécropolis ; c’était une ville des morts séparée de la ville des vivants. Entièrement creusée dans le flanc de la montagne, elle en suit les diverses sinuosités : elle pénètre dans ses ravines, s’avance avec ses contreforts ; et cette situation irrégulière, donnée par la nature, présente néanmoins une certaine régularité donnée par les hommes. En e ffet, malgré les angles profonds que décrit cette Nécropolis, malgré les amas confus de débris de toute espèce dont elle est couverte, on peut toutefois y distinguer huit ou neuf petites terrasses qui s’élèvent en échelons les unes au-dessus des autres, longent horizontalement la montagne, et sont divisées en- deux parties par un ancien chemin sillonné profondément par les roues des chars, et contenant en plusieurs endroits des 26.


27f 59
To see the actual publication please follow the link above