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On peut entrer à cheval dans tous ces hypogées taillés dans la montagne, et l’on se trouve dans des pièces ayant trente à quarante mètres de chaque côté, soutenues, comme on doit le supposer, par plusieurs rangs de pilastres placés régulièrement ou irrégulièrement, .selon la solidité que la roche a offerte. Dans aucun oïl ne reconnaît le moindre indice de destination sépulcrale. Plusieurs sont ornes au-devant dune espèce de portique monolithe et d’une salle découverte ; d autres ont une avenue droite ou sinueuse ; et un d’entre eux se distingue par un bel et large escalier pratiqué également dans la colline, et couvert dans toute sa longueur d’une voûte de construction. Cette voûte fut infailliblement destinée à mettre à l’abri des intempéries de l’air les habitants de Cyrène, qui'venaient dans ce lieu visiter les marchandises envoyées d’Apollonie ; car, n’en doutons point, ces vastes hypogées furent des magasins. J’ai d it , d’après Diodore, qu’Apollonie fut pendant longtemps l’entrepôt du commerce de Cyrène. O r , quelque soin que les habitants aient mis à adoucir la pente de la voie publique qui conduisait du port à la capitale, cette voie ne dut jamais êtrè d’un accès facile aux charriots qui transportaient les marchandises. Outre la montée très-escarpée voisine d’Apolionie, il fallait, après les magasins où nous nous trouvons, en franchir une seconde pour arriver à Cyrène; et l’intervalle qui sépare ces deux grands escarpements est lui-meme hérissé de petites terrasses, e t partout croisé de vallées et de ravins. Un entrepôt , au milieu de cette voie , dut donc être indispensable pour les objets de gros volume, tels que les marbres, métaux, et autres matériaux étrangers au sol de la Cyrénaïque, et qui y étaient apportés de la Grèce et de l’Asie mineure. La destination et la situation de ces hypogées me paraissent, par conséquent, suffisamment motivées; de même que le soin que les anciens ont mis à les creuser, et surtout leurs étonnantes dimensions, appuient les notions que nous a laissées l’antiquité sur le commerce considérable que la Grèce africaine faisait avec les principaux ports de la Méditerranée. . Ces appartements souterrains, situés loin de la route que suivent les caravanes de la Mecque et même du chemin qui conduit de Derne a Ben- G h a z i, offrent, depuis bien des années, des habitations commodes aux Arabes de Barcah. Des tribus entières en ont successivement fait leur domicile , iet des ateliers de divers genres y ont été tour-à-tour établis. Cependant des hordes de bandits ont parfois envahi ces paisibles retraites ; elles en ont chassé leurs possesseurs, et en ont fait le repaire de leurs déprédations ; mais leur séjour n’y a jamais été de longue durée. Les tribus voisines se sont réunies ; les bandits ont ete disperses, et les propriétaires légitimes sont rentrés en pouvoir de leur bourgade troglodyte. C ’est peut-être à ces usurpations momentanées, ou pour mieux dire, à ces farouches usurpateurs, funeste assemblage de ce que les déserts recèlent de plus fainéant et de plus vicieux, qu’il faut attribuer une tradition , vrai pendant de la ville pétrifiée, tradition également transmise par des voyageurs, et aussi légèrement accueillie par des savants; je veux parler de la peuplade libyenne, parlant un langage inconnu, et habitant les montagnes entre Cyrène et Apollonie. Je croirais barbouiller trop inutilement du papier que de donner sur ce sujet d’autres explications. De même que les voyageurs des temps antiques s’arrêtaient probablement à la station du chemin de Cyrène, nous nous y sommes reposés tin instant, et nous poursuivons ensuite notre route. Peu de sites, même dans les plus beaux cantons de 1 Italie , présentent un aspect aussi pittoresque que les sentiers que nous parcourons. Il faut ajouter qu’ils sont presque partout parsemés de précieux débris q u i, quoique à peine reconnaissables, doivent nécessairement produire dans ces lieux un tout autre effet que ceux que l’on rencontre dans les champs tant de fois visités de la Grèce européenne. Ce n’est point sans éprouver une surprise agréable que l’on aperçoit tantôt un pilastre de marbre posé par le temps, comme pour inviter à la méditation, sous les branches horizontales d’un énorme cyprès ; et tantôt le torse gracieux d’une statue de quelque nymphe adorée à Cyrène, autour duquel les myrtes et les lentisques entrelacent leurs faibles rameaux, et semblent vouloir le défendre contre la main des Barbares. Mais je n’en finirais pas , si je voulais reproduire cette foule de détails, source de mille sensations que le moindre accident faisait naître, et qu’un autre accident effaçait. Je m’étais recueilli, je jouissais de tout ce qui m’entourait, et j ’avançais en silence; je ferai de même maintenant : cela vaut mieux que mes oiseuses paroles, i 26


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