Page 121

27f 59

Le premier de ces auteurs en a laissé une description si détaillée, qu’elle seule suffirait pour prouver que cette tradition avait pour base fondamentale la géographie, puisqu’elle s’accorde exactement avec l’aspect et les productions du lieu qu’elle désigne, ü n témoin oculaire, le judicieux Della-Cella , a déjà fait cette observation, mais il ne lui a pas donné assez de développement ; je vais chercher à suppléer, par quelques détails , à ses omissions, et je commencerai, comme lu i , par citer le passage de Scylax. « Le golfe formé par le promontoire Phycus est inabordable... C ’est « là que se trouvei le jardin des Hespérides. C’est un lieu de dix-huit « orgyes, ceint de toutes parts de précipices si escarpés, qu’ils ne sont <i accessibles d’aucun côté. Il a deux stades d’étendue en tous sens, sa « longueur étant égale à sa largeur. Ce jardin est rempli d’arbres serres « les uns contre les autres, et dont les branches s’entrelacent. Ce sont des « lotus, des pommiers de toutes les espèces, des grenadiers, poiriers, k arbousiers, mûriers, myrtes, lauriers, lierres, oliviers domestiques et « sauvages, amandiers et noyers (i). » Est-il nécessaire de dire qu’une description si détaillée n’est point le fruit d’une tradition fabuleuse ? N’est-ce pas là de la topographie proprement dite, qui n’a rien de commun , on l’avouera, avec l’imagination et la fable ? Ajoutons que, si l’on en excepte les noyers et les pommiers, tous les arbres nommés par Scylax se retrouvent encore de nos jours dans la région boisée de la Cyrénaïque. En admettant donc, ce qui me paraît prouvé, que cette description est locale et non pas fabuleuse, cherchons à reconnaître le lieu q u i, dans cette contrée, peut le mieux lui convenir. L ’opinion générale des savants place ce jardin auprès de l’ancienne Bérénice, par la raison que cette ville appelée d’abord Hespéris donna ce nom au jardin des Hespérides, ou bien qu’elle l’en reçut. L’aspect et les productions des lieux comparés au témoignage de Scylax sont tout-à- fait contraires à cette opinion. Bérénice, actuellement Ben-Ghazi, située à l’extrémité occidentale de la Pentapole, se trouve séparée, par une ( i) Scylax, éd. Gronov. p. n o . plaine de six lieues environ, de la région boisée, c’est-à-dire des terrasses au-dessus desquelles s’étend le plateau cyrénéen. Une plage nue, aride, sablonneusè, généralement rocailleuse, mais plate, et parsemée seulement çà et là de quelques tiges de palmiers, tels sont le lieu même et les environs de l’ancienne Bérénice, surnommée avec raison la Brûlante par l’exact Lucain (i). On conviendra que cette situation est on ne peut pas plus contraire à un lieu ceint de précipices et de toutes parts inabordable; à un lieu qui offrait une si belle végétation, que sa description exacte a passé pour fabuleuse; enfin à l’idée que les anciens ont donnée du jardin dés Hespérides , et de la grande fertilité de son territoire qui passait pour le meilleur de la Cyrénaïque (2). Je n’ignore point que des personnes, par respect pour des opinions accréditées , n’ont pas craint, naguère encore, d’être infidèles aux convenances locales, et qu’elles se sont obstinées à placer ce jardin auprès de Bérénice. Des figuiers sauvages et des caroubiers clair-semés dans unpeu de terre d’alluvion, non loin de cette ancienne v ille, leur ont paru convenir parfaitement aux descriptions des anciens. Quant à m o i, dont l’opinion sur des sujets d’érudition est, sans doute, d’un bien faible p oid s,'et qui par cette raison même ne crains pas de combattre ces sortes d’opinions lorsque je ne les trouve point d’accord avec les lieux que j ’ai visités, je ne perdrai pas mon temps à réfuter plus longuement celle que je viens de rappeler. Au défaut d’un grand savoir, je me servirai de mes yeux et de mon bon sens, et je chercherai à reconnaître la vraie place du jardin des Hespérides de la Cyrénaïque. Pourvu de ce modeste secours, je serai porté à persister dans mon idée; je détournerai la vue de l’aride Bérénice, et grimpant au promontoire Phycus, me reposant près du port des Phéniciens, j ’aurai la bonhomie de voir dans ce port celui où abordèrent les Argonautes,- lorsque du cap Malée ils furent poussés en Libye par le vent du nord. Je mesurerai des yeux les hautes terrasses du promontoire ; je parcourrai (1) Bell, civil. 1. IX, v. 524. (2) Hérod. 1. IV , 198.


27f 59
To see the actual publication please follow the link above