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CHA P ITR E XII. Camp d’Arabes. J’ai déjà parlé des guerres violentes qui divisaient les Arabes de Barcah ; j ’ai esquissé le tableau d’un vieillard ami du bien , et de plus bienfaisant, vivant retiré dans une paisible vallée. Historien scrupuleux, non de mes personnelles et fort oiseuses aventures, mais de tous les faits qui peuvent servir à caractériser ces peuplades, je vais essayer d’en retracer un nouveau. Dans celui-ci, comme dans le précédent, la fidélité du récit suppléera peut-être au talent du narrateur. J’étais parti dès le matin d’Apollonie, pour chercher dans les environs quelques vestiges de l’ancien chemin de Cyrène. Soit faute de renseignements suffisants, soit que ces vestiges aient tout-à-fait disparu, mes recherches furent infructueuses. Cependant elles m’avaient conduit fort loin de ma caravane, et, de ravin en ravin, j ’étais arrivé sur les premières terrasses de la montagne. Un Arabe m’accompagnait dans cette recherche,- plusieurs fois il m’avait conseillé de retourner à Sousa, et je ne reconnus l’utilité de ses avis que lorsqu’il n’était plus temps d’en profiter. Le ciel, très-pur le matin, s’était insensiblement couvert de nuages. Les orages sont de courte durée dans la Pentapole, mais ils s’elevent et éclatent subitement. La pluie, fouettée par le vent, nous obligés de nous réfugier dans lé plus épais de la forêt. Cependant la nuit était survenue, e t , contre notre attente, l’orage ne se calma un instant que pour recommencer avec plus de violence; il fallut alors nous déterminer à chercher un gîte. Nous voilà donc marchant à travers la forêt, tantôt enfoncés dans les buissons, et tantôt heurtant contre les branches des cyprès, dont la teinte sombre augmentait l’épaisseur des ténèbres. Mais j ’oublie que ce n’est point de moi-même que j ’ai promis d’entretenir le lecteur; je lui fais donc grâce des accidents de cette malencontreuse promenade, et je le conduis de suite au milieu d’un camp que je trouvai, malgré le mauvais temps, dans la plus grande agitation. Mon guide était parent du cheik; et cette parenté, sur laquelle il avait compté, me permit de prendre place dans la tente principale, sans attirer, comme à l’ordinaire, l’attention générale : de puissants intérêts occupaient les esprits. Tandis que tout était en rumeur dans le camp, le plus grand calme régnait dans la tente où je me trouvais; mais ce calme était plus terrible que l’agitation, il ressemblait à la fureur concentrée. La tète penchée sur la poitrine, une main posée sur la barbe et l’autre appuyée sur des armes, le cheik avait l’air d’être profondément affecté; l’immobilité de son corps laissait apercevoir le moindre mouvement de ses yeux : l’expression en était si variée, elle en était si rapide, que le désespoir et la résignation, la colère et l’attendrissement, paraissaient lutter ensemble à la fois, et cependant être vainqueurs ou vaincus tour-à-tour. Les principaux de la tribu étaient rangés en demi-cercle auprès de lui. Malgré la différence de leurs attitudes, on voyait qu’une même idée absorbait leurs pensées : chacun d’eux fixait tristement ses règards sur le so l, et les portait de temps en temps sur des draperies entassées au milieu de l’assemblée. Des flambeaux de bois résineux étaient placés à quelques pas de l’entrée de la tente ; selon que le vent s’apaisait ou qu’il redoublait, leur éclat pénétrait dans l ’intérieur, faisait jaillir le poli des armes, èt détachait des masses d’ombres les traits fortement prononcés des assistants; ou bien- leur pâle lueur ne répandait sur cette scène silencieuse qu’un demi- jour sépulcral plus pénible que l’obscurité parfaite. N’osant interroger personne, j ’attendais que quelqu’un prît la parole, pour connaître la cause de ce qui se passait dans le camp, lorsque j ’aperçus dans la forêt voisine une troupe d’Arabes portant des torches allumées. Deux femmes les devancent ; elles se dirigent à la hâte vers nous ; enfin elles entrent ou plutôt se précipitent dans la tente. Aussitôt le cheik se lève, les traits de son visage se contractent, ses gestes paraissent convulsifs; il porte la main sur le tas de draperies, en écarte une partie, et prononce ces paroles : « Zalirah', voilà ton fils ! Z, elimèli, voilà ton époux ! » C’était le cadavre ensanglanté d’un jeune homme !... A cet aspect inattendu, je ne pus me défendre d’un sentiment d’horreur ; mais la scène avait tout


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