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Ces peuples, tant anciens que modernes, n’ayant d’autre monture que les chevaux, et habitant un sol brûlant en été, adoptèrent dans la construction de leurs villes un usage qui s’est perpétué jusqu’à nos jours : ils ne laissèrent entre les maisons que des sentiers étroits, et en élevèrent le faîte, pour augmenter les masses d’ombre et faciliter les courants d’air. Ces prépautions durent être nécessaires chez les Sarrasins de la Cyrénaique, bien plus pour les villes bâties un peu avant dans le plateau, que pour celles situées aux bords de la mer, ou sur les terrasses boisées, sans cesse rafraîchies par les brises marines. Après avoir erré si long-temps parmi de tristes squelettes de bourgs et de villages, il serait temps d’arriver à la capitale, à l’illustre Cyrène, dont nous ne sommes plus éloignés que de quelques lieues. La renommée de ses merveilles, grossie par une imagination de feu , mais confuse et fantasque, traverse les sables du Saharah; elle fournit aux entretiens des nègres du Soudan, et des paisibles habitants de la poudreuse Tombouctou. Cette renommée, accréditée en Europe sous d’autres couleurs, doit irriter la curiosité de mon lecteur; e t, fatigué sans doute de mes prolixes digressions, il me demande avec raison à la satisfaire. Mon désir ne serait pas moins v if que le sien. Mais en raison même de cette grande célébrité, et des découvertes qu’elle nous promet, je craindrais de négliger les petits objets, dont la connaissance est quelquefois très-utile, après avoir vu les grands qui quelquefois aussi le sont moins. Peu de ruines restent d’ailleurs à voir dans la Pentapole ; je préfère continuer l’exploration de quelques faits isolés, et conduire ensuite mon lecteur dans la capitale, plutôt que de recommencer cette exploration qui lui paraîtrait, en sortant de Cyrène, plus minutieuse, et tout-à-fait sans intérêt. Ainsi ; je quitte Ghernès avec la caravane, prenant la direction nord- ouest ; elle doit nous conduire, à travers les montagnes, auprès d’un port célèbre encore chez les habitants actuels. Contre mon espérance, dans les diverses parties des terrasses que je parcours, je ne trouve aucune ruine remarquable, ni la moindre trace d’un ancien chemin. La ligne que je suis est même peu fréquentée par les Arabes ; à chaque instant il faut s’arrêter pour abattre les branches des arbres, et se frayer, par ce moyen, un passage à travers les épaisses forêts de cyprès et de genévriers. ET LA CYRÉNAÏQUE. 161 Ces fréquents obstacles rendent notre marche lente et irrégulière, et son estime inexacte ; nous sommes partis dès le lever du soleil de Ghernès, et nous n’arrivons au port de Sousa qu’à deux heures après midi. Ici, comme auprès du Naustathmus, une petite plaine sépare les bords de la mer, des escarpements abrupts de la montagne; mais à peine s’est- on approché du rivage, que la vue est aussitôt frappée des nombreux restes d’antiquité qu’on y aperçoit. Un banc de roche, formé en majeure partie d’une espèce de brèche encore mal liée, suit parallèlement les bords de la mer, et sert de base aux ruines d’une ancienne ville. Cette ville était entourée d’un mur construit en grandes assises sur le même massif de roche ; il n’en reste plus que le côté méridional flanqué par intervalles de petites tours carrées. Du côté opposé, les flots de la mer, frappant immédiatement ces bases peu solides, sont parvenus à y faire, de même qu’à Erythron, de nombreuses échancrures, et ont formé çà et là de petits promontoires couronnés de débris. Dans le vaste amas de pierres qui couvre l’emplacement de cette ancienne ville, je ne pus distinguer que les ruines de deux temples, contenant l’un dix', et l’autre six colonnes de marbre blanc, bariolé de longues veines bleuâtres, connu, je crois, sous le nom de pentélique. Ces deux temples étaient chrétiens; indépendamment du style des chapiteaux, indice certain du moyen âge (Voyez pl. X X V I I, fîg. i , a ) , on remarque sur les fûts des croix taillées en relief, et surmontées d ’un globe pouvant représenter l’anse égyptienne, qui, dans d’autres cantons de l’Afrique septentrionale, accompagne toujours le symbole du christianisme (Voyez même planche, fîg. 2) (1). Cette particularité porterait à croire que les premiers chrétiens de la Pentapole (2) usèrent des mêmes précautions que ceux des Oasis. Il est certain, d’après les monuments encore existants, que ces derniers adoptèrent la croix ansée des ancien^ Égyptiens, dans l’intention peut-être de déguiser par ce symbole antique (1) La croix ansée des anciens Égyptiens fut adoptée par les chrétiens de l’Oasis de Thèbes. Dans les tombeaux de Ghaboouet, elle se trouve ainsi figurée à côté des scènes les plus connues de l’ancien Testament. (2) L Évangile fut prêché à Cyrène dès son apparition (Oriens, Christ, t. II, p. 622).


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