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!5o v o y a g é d a n s l a m a r m a r i q u e dans la tente, il fit quelques pas dehors, et se mit à crier d’une voix que l’âge n’avait point encore affaiblie. Ce cri d’appel, et quelquefois d alarme , ce cri qui avait plus d’une fois troublé notre repos, n’avait rien d hostile dans ce moment; les échos le répétèrent au loin, et bientôt les mêmes échos rendirent celui d’une voix argentine. « Sciidah va arriver, nous dit le cheik « en rentrant; l’hospitalité embellit le désert; c’est une fleur que l’on cueille « sur son chemin : comme elle, son parfum est aussi agreable à celui qui « l’accepte, qu’à celui qui la donne. Etrangers, qui que vous soyez, vous « resterez quelques instants avec nous. » Peü après nous vîmes à travers le bosquet une jeune fille, portant d une main une faucille, et de l’autre soutenant sur la tête un gros fagot de broussailles. A la délicatesse des formes et aux mouvements délicieux de la taille, on l’eût prise pour une nymphe accourant dans la foret à la voix de Diane; mais à la rapidité de la course et au volume du fardeau, on eut cru voir un jeune homme couvert des habits d’une fille. Enfin elle arrive a 1 entree de la tente, y dépose ses broussailles, nous aperçoit, et soudain disparaissant, elle revient un instant après, conduisant ou plutôt traînant une chèvre, qu’elle se met aussitôt à traire. En un clin d’oeil le feu est allumé ; et tandis que la flamme pétille, Saïdah, toujours vive, toujours légère, dispose tout, arrange to u t, avec une grâce d’autant plus piquante, qu elle naît de sa gaucherie même; et elle plaît d’autant plus, que son aimable ingénuité donne un air d’abandon à la brusque volubilité de ses manières. En effet, à voir cette jeune fille, se confiant dans la présence de son père, ne mettre aucun soin à cacher ses charmes naissants ; à la voir à demi couverte d’une draperie qui semble n’en voiler une partie que pour mieux séduire la pensée ; à voir ses regards assurés sans effronterie, ses poses voluptueuses sans impudeur, ses gestes libres mais innocents; ne dirait-on point de cette plante qui, forte de sa faiblesse, croît à l’àbri de l’arbre de la foret : elle abandonne au gré d’une sève capricieuse ses rameaux errants au hasard; et irrégulière dans ses détails, mais harmonieuse dans son ensemble, elle plaît d autant plus qu’elle paraît plus sauvage ? Cependant le repas était prêt, et nous nous assîmes à 1 entree de la tente autour de la table hospitalière. Du point ou nous étions places, nos regards portaient sur toute l’étendue de la vallée. La matinée était belle com.mé E T L A C Y R É N A ÏQ Ü E . le lendemain d’un orage ; et cette retraite nous paraissait plus paisible en songeant àux dangers de la veille, Le bon vieillard se prit a nous parler de son domaine. Cette vallée, d it-il, avait ete habitée par ses pères ; lui-même y était né, et n’en était que rarement sorti. Jamais ses courses ne s’étaient prolongées jusqu’à Derne ou àBen-Ghazi; il ne connaissait d autres habitations que les tentes, et d’autres jardins que les champs. Ensuite il nous indiqua les arbres où il recueillait le miel, la grotte ou il renfermait la paille, le lieu qui servait d’aire pour ses blés; et nommant ainsi tous les endroits de la vallée, il assignait à chacun ses productions ou son utilité. Puis il ajouta : « Ne soyez pas surpris de cette rangée de sacs qui « nous entourent ; des richesses n’y sont point enfouies, ils ne contiennent « que les présents de la terre, de l’orge et du ble ; une petite partie suffit «à moi et à ma fille, et le reste est pour les passants. Ces ihrams sont « le travail de Sccidah pendant l’été ; ils servent à vêtir les pauvres dans « la saison rigoureuse. Nous faisons tout le bien qui dépend de nous, aussi «les hommes ne nous font point de mal. Notre vie, exempte de craintes «et de soucis, est paisible comme cette vallee, elle secoule doucement cçcomme ce ruisseau, à l’abri des tourments que donnent les désirs, « hors de l’atteinte des méchants qui se déchirent loin de nous. Etrangers, « croyez-en mon expérience, faites le bien si vous voulez etre heureux! « Cette sérénité de mon ame, ce charme de ma vie, je les dois a la bien- « faisance. De même que la brise legere ranime les forces défaillantes du «voyageur errant dans le Sctharcih ( i ) , de meme la bienfaisance arrive «au coeur de l’homme pour le soulager : elle rend le bienfaiteur plus «heureux que celui qui reçoit le bienfait; elle fut le,secret de ma vie, elle « en a fait la félicité. » Durant ce discours j ’examinais la physionomie de ce philanthrope du désert : l’expression en était, comme ses paroles, pleine de candeur et de simplicité; et ses regards, à la fois animés et tranquilles, semblaient dire que de douces émotions agitaient momentanément une ame toujours paisible. Mais les instants donnés au plaisir s’écoulent rapidement : l’heure avancée (i) Grand désert de l’intérieur de l’Afrique.


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