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cette curiosité, je parviendrais peut-être à vous apitoyer sur mon sort. Mais, sur un pareil sujet, la vérité la plus naïve peut prendre aux yeux d’autrui le masque du mensonge : tel se défie à bon droit des récits dont le narrateur est le héros; tel autre, plus rusé, feignant de les croire, paie ces véridiques mais ridicules aveux d’une épithète oiseuse : il a l’air de distribuer l’avoine à un coursier haletant. Je renonce donc volontiers à de semblables épisodes. Je détournerai même pour le moment les yeux du spectacle affligeant qu’offraient presque en tous lieux les montagnes de Barcah, pour les porter vers une scène bien différente. Essayer de la retracer, c’est à la fois me livrer à un agréable délassement, et rendre un service à l’humanité. Les hommes sont méchants, mais l’homme est bon, a dit le philosophe de Genève. Ce mot peut convenir à ces peuplades sauvages, ainsi qu’il convient aux peuples policés. Lorsque l’homme se replie sur lui-meme, il retrouve plus facilement ses vertus primitives, qu’use insensiblement le frottement des sociétés; et ces vertus paraissent d’autant plus aimables alors, qu’elles contrastent avec les vices de ceux qui l’entourent. C’est ainsi que parmi ces hordes altérées de sang et de.pillage, on rencontre des familles amies de l’ordre et du repos, vivant retirées en des lieux solitaires, et jouissant en paix des précieux avantages que procure cette fertile contrée. Des incidents nous avaient forcés de quitter précipitamment Zaouani. Vers le soir, une grotte nous offrit un asile qu’il n’était ni prudent ni facile d’obtenir dans les camps tumultueux des Arabes. Là nous entendîmes toute la nuit le tonnerre gronder, et la pluie tomber par torrents. La violence du vent était telle, que, pénétrant par les fentes de la roche', elle nous permettait à peine d’entretenir le feu de broussailles auprès duquel nous cherchions en vain à sécher nos vêtements. Les premiers rayons du jour vinrent enfin éclairer notre retraite, et nous firent apercevoir à peu de distance un enfoncement qui paraissait entouré d’une ceinture de gros rochers. Ce lieu, nous dit le guide, s appelle la Falleé des Figuiers ; c’est le séjour du cheik A z i s , connu dans toute la contrée par la simplicité de ses moeurs et la douceur de son caractère; il faut y aller, et nous y trouverons l’hospitalité. Nous nous mîmes aussitôt en route, et nous arrivâmes auprès de la vallee, lorsque les feux de l’aurore coloraient la sommité des montagnes, et commençaient à se répandre en longs rayons dorés sur les vertes pelouses qui tapissaient le penchant des coteaux. Le-spectacle qui s’offrit en cet instant à mes yeux était ravissant : la Vallée des Figuiers est bornée au nord par un long mur de rochers taillés à p ic , mais sillonnés en tous sens de profondes crevasses d’où sortent des touffes épaisses de figuiers sauvages, parmi lesquelles on entrevoit des coronilles flexibles, des genêts épineux, et une foule d’arbustes et de plantes sax'atiles. Du côté opposé, un bois de caroubiers s’élève sur une molle pelouse, et décrit une pente insensible qui atteint le sommet de la vallée couronnée de toutes parts d’un rideau de cyprès. La tempête avait cessé sur la terre, mais elle régnait encore sur la mer : les échos des rochers répétaient le bruit rauque des vagues irritées que j ’apercevais au loin. Cette rumeur confuse, et cet aspect, ajoutaient à l’air de sécurité que présentait le fond de la vallée. On y voyait serpenter un ruisseau dont le faible murmure ne pouvait s’entendre que par intervalles ; on y voyait le blanc ornithogale et la mauve fleurie relever leurs débiles corolles échappées aux coups de l’orage qui avaient abattu de grands arbres dans les environs Déjà nous avions pénétré assez avant dans cet agréable séjour, lorsque le guide nous fit signe de nous arrêter. J’aperçus alors dans un enfoncement du bosquet une tente devant laquelle était un vieillard qui faisait la prière du matin. L ’air calme du solitaire durant son pieux exercice annonçait sa confiance dans la divinité; et cette confiance, de quelque manière qu’elle se manifeste, quel que soit le langage qui l’exprime, prouve du moins dans l’homme cette précieuse bonne foi, don ineffable des ames simples et vraies. Ce vieillard était le cheik Azis. Dès qu’il eut achevé sa prière, il vint aussitôt à nous; et, contre l’usage admis dans le désert, avant de nous demander ’ qui nous étions et où nous allions, il nous proposa de nous arrêter un instant dans sa tente. Je fus surpris en y entrant de la propreté et de l’ordre qui y régnaient; cet ordre était tel, qu’en jetant les yeux dans la pièce réservée aux femmes, on aurait dit qu’elle était préparée pour les recevoir, mais non encore habitée. Cependant, dès que le cheik eut étendu le tapis sur la natte journalière, et qu’il nous eut installés commodément ao.


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