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Tâche sans espoir néanmoins que faire le bonheur des gens malgré eux. En 71, soulevée par les intrigues de son ancien maître, réfugié à Tunis, elle massacra la garnison. Quant à lui, tombé dans la misère, il mourut obscurément à Tanger, abruti de lcif et d’alcool. Cette principauté d’opérette, si elle n’eût été aussi sanguinaire, n’avait rien des splendeurs orientales, dont j’ai idée d’ailleurs que notre imagination toujours les a fort surfaites. La kasba, remplacée par le bordj militaire, n’était qu’un labyrinthe de petites cours sombres et sales, entourées de misérables bâtiments, avec un minuscule jardin pour les femmes, planté de figuiers, do rosiers et de jasmins, le tout donnant sur un fossé putride, défense de la ville et son dépotoir. De la dynastie des Ben-Djellab il ne reste que leurs os pourrissant dans une étrange hypogée perdue au miliou des sables, à faible distance des murs. Série de toutes petites koubas très basses où, dans une atmosphère oppressive de vieilles poussières et de décomposition desséchée, vont s’effritant des oeufs d’autruche à glands de soie fanés, leur unique décoration. De nombreuses tombés enfantines témoignent de la simplicité radicale avec quoi étaient tranchées les compétitions successorales et réglées les minorités précaires. Si les morts musulmans reviennent, il doit y avoir ici de singulières danses macabres, assassins faisant vis-à-vis aux assassinés. Dans un de ces caveaux, d’aspect particulièrement sinistre, où mon entrée met en fuite un gros scorpion, j’avise un paquet violet gisant sur le sol auprès d’un sépulcre en bois peint. Tout vérifié, c’est une vieille harpie qui se redresse en me dardant des regards farouches. Serait-ce l’ombre de cette Lella-Aïchouch, femme de tête autant que de moeurs dévergondées, qui avait exercé le pouvoir au nom de son fils Abd-er-Rhaman, l’une et l’autre ultérieurement supprimés par notre ami Selman, comme elle-même avait fait place nette de ceux qui la gênaient? Ou bien le fantôme d’Oum-Hani, fille d’un bey turc de Constantine et d’une captive espagnole, épousée au xvue siècle par un de ces princes? La vivacité de son esprit, la virilité de son caractère avaient tellement subjugué les Arabes que, narguant toutes convenances, elle allait visage découvert, montait à cheval, chassait et guerroyait. Elle joua un rôle prépondérant dans la politique d’un Etat à l’époque sans doute de quelque importance, puisqu’on rapporte que Salali-reïs, beylerbey d’Alger, razzia ici 12.000 esclaves. Mais non: ces dames ne sauraient s’être réincarnées dans un paquet aussi peu aimable. Sultane déchue peut-être, épave des Ben-Djellab, pleurant la fin de sa race. Tant que je me trouve dans ces dispositions funèbres, je rends visite à notre cimetière. Clos d’une grillé, envahi par les sables que souvent il faut déblayer, ce sont, sur les croix, d’humbles noms de chez nous. Quelques officiers aussi, de jeunes femmes fauchées par la malaria -— démenti à la légende de la Française n’accompagnant pas son mari aux séjours coloniaux — enfants qui n’ont pu surmonter l’anémie engendrée par cette terre embrasée. Hormis


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