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kermès, la noix vomique, vulgo fève de Saint-Ignace, les infusions, qu’ils sucrent à l’excès avec du miel, de camomille et de bourrache sauvages, d’angélique, de mélisse, de pariétaire, de sauge, de verveine, d’anis étoilé, de menthe, de serpolet et de romarin. Avec cela ils s’en tirent, n’étaient les affreuses ophtalmies purulentes, la malaria, la mortalité infantile, enfin, à l’état endémique, certain mal que je ne saurais nommer. Parenthèse digne d’un apothicaire, mais pas trop déplacée peut-être en ces parages morbides. De vastes palmeraies s’étendent au long de la voie en alignements rectilignes décélant la main européenne. Plantations nouvelles qui vont toujours s’étendant. Nous sommes dans le bled-el-djerid par excellence, pays de la datte muscade, exploitée industriellement par des sociétés anonymes pour l’exportation. Culture nécessitant le forage de puits artésiens, lesquels atteignent en moyenne à 70 mètres le niveau de la Bahar Tahtani. De la civilisation offerte c’est ce que les oasiens apprécient le plus. Le commandant Lamy a rapporté ce propos d’un caïd d’El-Goléa : « Les tuyaux sont comme les anneaux de cuivre que nous mettons dans le nez de nos mehara et les seguias comme leurs brides. Avec cela vous nous ferez marcher comme nous les faisons marcher ».A telles enseignes qu’ils ont nommé Fontaine delaPaixlepuitsdeTamerna, le premier ayant excité leur admiration par son débit de 4.000 litres à la minute. Ceux d’Our- lane et de Sidi-Amrar donnent l’hectolitre à la seconde. Au début ils vomissaient des poissons, tous aveugles, mollusques et crustacées d’eau douce. Ce n’est donc pas la mer qui serait venue jusqu’ici. Mais alors, tout ce sel?... Le nom de l’ingénieur Jus, qui y mourut à la peine, est marabout chez la Rouara. 11 avait, disent-ils, retrouvé la tarière avec laquelle lé prince à deux cornes, Donk’hl Korneïs, creusait le sable et perçait le roc. S’il est vrai que toute légende repose sur un élément de vérité rien ne pouvant naître du néant — on en est fondé à conclure qu’en des temps mythiques les puits artésiens étaient connus ici. Pourqutfcnon? La question de l’eau, c’est le lo be or not io be du désert. L’amener en surface, puis la défendre contre les sables qui la boivent, sans jamais en être moins altérés, préoccupation primordiale de populations naguère plus nombreuses qu’aujourd’hui. Car les historiens arabes mentionnent quelque trois cents agglomérations dans le seul Oued-Rir’h, qui en compte à peine une trentaine. Selon cette loi universelle : le besoin crée l’organe, il est fort plausible qu’y ait été en usage un procédé analogue à la sonde artésienne. Avant le fait capital qui a été le pivot de l’humanité — j’ai nommé la découverte de l’imprimerie — les connaissances, n’étant ni vulgarisées ni fixées, sombraient avec les sociétés. Et tout était à refaire sans qu’on pût travailler sur la base de l’acquisr hors certaines traditions orales bientôt déformées. Considérant seulement le forage à la main, le puisatier indigène y est fort habile. Au désert, les réservoirs d’eau sont de diverses sortes. D’abord le ghedir : un trou, un fossé, une cuvette L'OUED RI I i ’H 143 en terrain argileux, petite mare retenant quelques jours seulement un liquide boueux, dont néanmois il n’est pas fait fi. C’est quand même mieux que l’urine de chameau. Puis il y a l'agio, ou haouassa, excavation de faible profondeur, aboutissant à une nappe superficielle qui se renouvelle lentement. Elle est laissée à fleur de terre, recouverte d’une plate-forme en palmes sèches, par-dessus laquelle on assujettit plusieurs épaisseurs de cuir. Quand une caravane l’a repérée, on déblaie le sable amoncelé par le vent, on la découvre, on installe une noria de fortune ; et si on a la chance qu’elle ne soit pas tarie — que d’atroces déceptions parfois ! on puise pour déverser dans un bassin adjacent. Les animaux boivent, sans que nul avant eux ait droit à une gorgée. Le seul véritable puits, c’est celui à nappe ascendante : le bir ou aïn. Pour l’obtenir le gheta d’abord, sans la baguette fourchue de nos sourciers, reconnaît le point favorable. Puis, nu, oint de graisse, narines et oreilles bouchées à la cire, suspendu au bout d’une corde, il creuse, un va-et-vient remontant les couffins remplis de sable, et boise à mesure avec des poutrelles de palmier. L’instant périlleux est celui où certains indices lui révèlent l’immédiate proximité de l’eau qui, au dernier coup de pioche, jaillira violemment. Parfois il y pourvoit en projetant d’en haut, pour défoncer cette croûte généralement rocheuse, une lourde masse. Tant le danger couru que 1 importance sociale de la fonction confèrent à la corporation un prestige compensateur de ce que ce métier a de pénible. La plupart des puisatiers qui échappent aux accidents sont emportés par la phtisie. Les puits aussi meurent, empoisonnés par des infiltrations d’eau corrompue, ou bien ensablés, malgré de fréquents curages se faisant en plongée qu’on a vu durer jusqu’à cinq minutes. Industrie primitive qui est en voie de disparaître. Toutefois ne faudrait-il pas croire que le système artésien ait abouti à la perfection. Cela arrive qu’un puits creusé ici en tarisse un autre là. Il faudrait un régime hydraulique comme ailleurs un régime forestier. Mais les données en sont encore inconnues. Lo résultat de ces tâtonnements est qu’une oasis revivifiée parfois dépérit de nouveau. Rien de navrant comme le spectacle de ces palmiers s’enlisant dans le sable qui monte et y agonisant d’asphyxie lente auprès d’éboulis de boue sèche, ruines du village abandonné. ? 9 Le 5 décembre 1854, un cavalier arabe épuisé et couvert de poussière se présentait au palais du gouvernement. Aussitôt introduit, sur sa demande, auprès du maréchal Randon, il lui remettait un pli tout chaud encore du flanc de son cheval fourbu à travers le cuir de la djebira. En voici la teneur dans sa candide impudence. « Louange au Dieu unique!


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