D ’EL-KANTARA A BISKRA 137 Zab, partagé entre les Ben-Gana et les Bou-Okhaz. Lorsque, assez récemment, le chef de ceux-ci, Ali-Bey, fut tué d’un coup de fusil demeuré anonyme, la malignité publique ne se fit pas faute de commenter le « Is fecit cni prodest ». Potin saharien. Tout ce que j’en sais c’est que le chef des Ben-Gana, l’agha Bou-Aziz, est extrêmement beau et « très parisien ». Dans sa fastueuse demeure de Biskra j’ai passé, en compagnie de l’aimable femme d’un officier des affaires indigènes, des heures fort amusantes, quoique la conversation fût plutôt cahotée avec « madame l’agha » et ses filles, lesquelles, par exception, parlent assez bien le français. Un de ses cadets est sheikh de Sidi-Okba. Il m’y a donné une diffa des plus pittoresques, sous une tente ornée de magnifiques tapis, dressée dans son jardin tout parfumé d’oranger, de cassie et de jasmin. Un frère plus jeune était parmi les convives. Très timide, à deux femmes que nous étions, impossible de lui arracher une parole. Parfaitement joli garçon, un peu efféminé comme souvent l’adolescent arabe, Abd-el-Ali semblait un prince de féerie en sa culotte écarlate brodée et rebrodée d’or avec la veste et le gilet vieux rose. Cette oasis est un lieu vénéré. Par ici, l’an 62 de l’hégire, périt dans un combat le conquérant Okba-ben-Nafé, qui avait conduit son cheval victorieux du littoral de la mer Rouge aux grèves de l’Allanlique. La mosquée abrite son tombeau, dont l’austère simplicité se rachète par l’emphase de l’épitaphe en écriture coufique. Il en est de plus mal placées. Car l’émir fut un de ces hommes investis des grandes missions historiques. L’évolution dont il a été l’agent affecta plus de mille années durant le bassin de la Méditerranée. Fort vétuste, ce sanctuaire ne se distingue par aucune apparence non plus.que de luxe intérieur. Les pèlerins enrichissent-ils le ksar? Il n’y paraît guère. Contrastant avec la beauté de ses palmiers, il est délabré et sordide. En notre honneur la population avait cru devoir pavoiser. Profusion de petits drapeaux donnant un aspect de 14 juillet d’autant plus malencontreux que celte pauvreté possède un caractère particulièrement intense. Ce sont à chaque pas des « motifs » qui, selon une do ces lois esthétiques impossibles à déterminer, se composent de soi-même par le rapport des lignes et des valeurs. En chemin nous avens dépassé un convoi de condamnés militaires conduits au pénitencier, quelque part dans l’immensité désertique. Un superbe Sénégalais, qui porte sur sa tête une volumineuse barda, a conservé mine riante. La puérile insouciance du noir le rend amorphe au regard de toutes traverses. Parmi les autres, physionomies humbles et soumises de chien hargneux mais dompté, il en est un dont le regard jeté sur notre voiture, sur l’officier surtout qui nous accompagne, renferme des abîmes de colère, de haine, de férocité, avec aussi une atroce détresse qui nous remue. Encore que ce soit, n’en doutez pas, un sinistre gredin, une émotion naît de voir cet être broyé dans l’étau de la froide vindicte sociale. Quelques minutes plus tard, un des spahis d’escorte revient aur nous à bride abattue. Pour exploiter peut-être ces pitiés fé- 18
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