écoles primaires, une fondamentale erreur pédagogique contribue à cette superficialité absolument stérile. Si le génie oriental pèche par le défaut d’organisation, de cohésion, de méthode, le nôtre parfois pousse à l’excès ces vertus. En France déjà certains esprits, évidemment entachés d’obscurantisme, estiment inutile au paysan, sinon nocif, d'autres connaissances que la lecture, l’écriture et les quatre règles. Si son penchant l’incline à aller plus outre, il s’instruira par les lectures et n’en saura que mieux. A plus forte raison combien inexpédiente l’importation de programmes fort mal adaptés à des mentalités et des contingences profondément divergentes. Autant semer des petits pois au Sahara. Parler à un petit Bédoui de l’histoire romaine, dos dynasties mérovingiennes, des fleuves de la Chine, l’abrutir par la syntaxe d’une langue dont il ne fera jamais usage que pour ses intérêts — voilà bien de quoi secouer son apathie intellectuelle!... Et le mécanisme électoral, le jeu des institutions parlementaires... Heureusement il n’y comprend rien, car notre prestige, n’en doutez pas, aurait fort à en souffrir. J’ai assisté à une colle de géographie. « — Tu vas à Paris? Par où passes-tu? » Docile, il montre les endroits sur la carte. Jamais il n’a vu un chemin de fer ; la mer, il ne sait ce que c’est. La capitale, abstraction qu'il ne conçoit point. Les distances, sans valeurs relatives. Nulle notion des réalités. Aucune corrélation entre les paroles proférées et les idées qu’elles expriment. Jac- quot, vous dis-je, qui pour réclamer sa graine de tournesol glapit qu’il a déjeuné. Certain officier des affaires indigènes procédait, en sa qualité de maire, à des interrogations. Indépendant et frondeur — cela est assez fréquent dans ce service |j | il s’avisa de demander au phénix de la classe le cours des oueds de la région. Comme celui-ci demeurait bouche bée, l’instituteur, scandalisé, en appela au programme : le saero-saint, l’intangible, Tunique ■— tous les attributs d’Allah — garantissant son élève ferré à glace, quoique Saharien, sur les bassins du Rhin et du Rhône. Cela dit, rendons hommage au zèle de ces maîtres, dont certains sont indigènes, naturalisés ou non, parfois mariés à une Française, laquelle dispense l’instruction aux rares filles que des parents sans préjugés ne craignent point d’exposer aux périls de notre culture démoralisatrice. Le résultat de cet enseignement tout décoratif, à quelques pas de l’école du Village Blanc s’en offre la constatation. Assise sous un palmier, buvant la lumière, regardant le soleil rougeoyer, le sable poudroyer, l’oasis verdoyer, ne pensant à rien sinon que bien excusable en ces climats est l’indolence, un bel adolescent qui passe, sans aller nulle part, entre en conversation. Je crois devoir le complimenter sur son excellent français. Très fier de sa belle éducation, il écrit, en ronde irréprochable, son nom sur mon calepin : Amrat-Mabrouk-ben-Saïd-ben- Alimed. II n’a plus ses parents et vit chez son frère. «B- Qu’est-ce qu’il fait, ton frère? — Rien. Et loi? — Je garde la chèvre ». Me voyant sourire, il ajoute, impavide :— « Les Arabes, tu sais, c’est tous des fainéants ». Je ne te l’ai pas fait dire, Amrat-Mabrouk. Pour s’en convaincre, il suffît d’en observer un qui par hasard travaille. Une demi-douzaine d’autres font cercle à l’en- tour, lè considérant avec un mélange de commisération et de sens critique. De ce seul effort ils semblent las. Un esprit distingué, très documenté sur les choses algériennes, a écrit : « Donner de l’instruction aux Arabes, c’est faire boire un âne qui n’a pas soif ». Propos dont les tolbas ont été très froissés. J’abrite mon impertinence derrière l’autorité de ce chef de cabinet d’un gouverneur général — saluons au passage le nom de M. Aynard, tombé au champ d’honneur pour déclarer à la barbe de très doctes personnages, de qui je vénère la sapience, que l’enseignement professionnel est le Seul me semblant convenir au prolétaire arabe. A la vérité y faut-il d’abord un apostolat combattant son aversion pour le travail des mains, lesquelles il a adroites autant que vif l'entendement. Qu’on fasse des charpentiers et des maçons, des tourneurs, des mécaniciens, des électriciens, des tisserands — à ceci s’emploie l’école de Bou-Saada, non sans avoir peine à triompher du préjugé qui, au rebours de chez nous, attribue celte occupation aux femmes, les hommes se réservant la couture. Qu’on leur inculque des méthodes agricoles perfectionnées. Il y a de quoi faire, car l’indigène sème avant de labourer, fait usage d’araires en bois, dépique son grain sur Taire et non seulement, au pays des phosphates, ignore les amendements, mais pour tout assolement se borne à la jachère alternée. Si l’Arabe est paresseux, il est intéressé. Amenez-le à ce que ceci tue cela. La voilà, la bonne besogne. 9 . ? O11 n’entre dans le désert proprement dit qu’à El-Outaya signifiant « la grande plaine », comme Bagkdad, qui n’est pas seulement l’opulente cité rivcraiue du Tigre, mais aussi l’emplacement d’une des 125 villes qu’on nous assure avoir, au xiii* siècle des Francs, été florissantes dans les sables desséchés et les marais fiévreux de TOued-Mya. N’eût-ce été que des villages, c’est beaucoup en regard de ce qu’il en reste : Ouargla et Ngouça, plus les assez imposantes ruines berbères de Sedrata. Ici le désert bientôt s’humanise en un chapelet d'oasis qui, s’égrenant entre les crêtes du Zab et les contreforts sahariens de TAurès, forment la région des Zibans. Biskra mérite le choix qu’en ont fait les hiverneurs. Ce sont eux qui le gâtent. Trop d’hôtels, un champ de courses, jusqu’à un casino. Les Roumis ont restauré l’oeuvre des Romains, car une inscription exhumée mentionne, en un lieu solitaire aujourd’hui, l’édification d’un théâtre. Cet important noeud de routes fut occupé fortement par les légions d’Hadrien et de Marc- Aurèle. Sur ce temps les documents font défaut. Mais les sables n'en ont pas enseveli toutes
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