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plus haut dans l’Aurès, au col de Tighinamine, ont laissé une inscription attestant que leur est due la route. Ce lieu est dit Foum-es-Sahara. « Porte » serait plus adéquat que « bouche ». Dès que vous l’avez franchie, ce n’est pas seulement la plaine immédiate, le brusque élargissement en per- pective immense : c’est un autre climat. Au dire local, ce gigantesque écran arrêterait les nuages du Tell. Je ne sais ce qu’en pense la science; mais empiriquement, rien de plus exact. D’un côté, temps aigre et maussade; de l’autre, le bleu et l’or du ciel, la grande lumière diffuse, la molle tiédeur. Contraste d’une précision saisissante. Continuez par la route, qui de boueuse est devenue poudreuse, en contre-haut du torrent profondément-encaissé dont le lit est rompu par de gros blocs blancs entre lesquels l’eau coule, verte comme celle d’un gave, baignant palmiers, figuiers, tamaris penchés sur ses berges. Poursuivez jusqu’à une haute terrasse naturelle portant les ruines d’un grand caravansérail. La, retournez-vous. Le rempart aux crêtes aiguisées en dents de scie se développe dans sq. farouche splendeur d'ambre et de pourpre. Il semble à pic. Pourtant ce fourmillement noir et fauve sur son flanc, c’est un troupeau de chèvres qui trouve pâture dans les longues crevasses brûlees lui donnant l’aspect d’un buffet d’orgue. A travers sa prodigieuse déchirure triangulaire, le Djebel- Metili fait toile de fond, d’une sévère coloration schisteuse. A vos pieds, enveloppée par les sinuosités de l’oued, la fraîcheur verte de l’oasis, que domino le Village Rouge, où s’enfouissent le Village Blanc et le Village Noir - d’ailleurs de même couleur, étant pareillement bat.s en boue calcinée. A présent, face au rebours. Une étrange falaise d’argile flamboyante se de- coupe en tours et bastions, redans, glacis et courtines, semblant une cité féodale noyee dans du sang. En arrière éclate la blancheur de la Montagne d’Albâtre. Au troisième plan une chaîne violette qui, en fuyant vers le Sud, s’estompe dans l’ardente vibration de la lumière. Et la plaine vermeille dont la ligne d’horizon, tant elle est basse, ne limite point la chute vers l’immense dépression saharienne. Dans la majesté du désert il semble saugrenu, ce petit serpent noir qui glisse sur un remblai : la train reparu, descendant vers Biskra. La population de l’oasis est aimable. Elle l’est plutôt trop, familiarisée parles peintres qu’attirent les bords charmants de l’oued El-Kanlara. Population arabe. Les Chaoums, retires et défiants, se retranchent dans leurs ravins, préférant les plus inaccessibles et, à l’instar de leurs cousins kabyles, groupant leurs douars autour d’une guelâa, nid d’aigle leur servant de magasin et de forteresse. Il est parmi eux des tribus troglodytes, celles notamment qui, non lom d’ici, cultivent de beaux vergers au fond des gorges de Tilalou, affouillées de grottes profondes. Mais ici, en ce site riant, c’est la mollesse heureuse, les façons amènes. Un indigène qui, sur son seuil, coud à la machine, me demande, avec un vif intérêt, des nouvelles de ma santé. Je riposte par des propos obligeants au sujet de sa petite fille, assise dans la poussière, fière comme une sultane sous une coiffure aussi haute qu’elle en verroterie et clinquant. L’inévitable café. Il a été domestique à Paris, « chez une comtesse ». L’éternelle naïveté dont je souris : « Peut- être tu la connais? » Vérification faite — vous ne me croirez pas —: elle se trouve être de mes relations. Le monde est grand comme une boîte à violon. Enchanté, Klialed saisit avec empressement cette occasion de quitter son ouvrage et s’offre pour me servir de guide à titre, gracieux. Tâche dont il s’acquitte avec autant de discrétion que d’intelligence. Il se désole que mon séjour soit aussi bref. Moi parèillement. On voudrait s’attarder ici. Les flâneries dans l’oasis sont exquises. L’abondance d’eaux vives lui donne un caractère particulier. A chaque pas ses vallonnements offrent un aspect nouveau. Tableau dont jamais on ne se lasse, celui des noires Nausicaa. Superbes déformés, que généreusement révèle la gandoura haut troussée, mi-partie vert vif et jaune ardent, orangé et écarlate, soit qu’elles tordent, qu’elles étendent, qu’au creux des roches elles piétinent dans la mousse savonneuse, leurs mouvements sont de parfaite eurythmie. Elles rient de toutes leurs dents dTvoire enchâssées dans l’ébène; gaîté puérile de leur race en contraste avec la gravité des fillettes arabes, sveltes et fines, qui écoulent un jeune berger jouant de la flûte de roseau. f; 9 L’agglomération indigène d’El-Kantara s’enorgueillit d’une école franco-arabe de garçons, installée fort magnifiquement. Elle est très fréquentée. J’en ai visité beaucoup; de toutes j’ai rapporté même impression. L’aspect de ces parterres do coquelicots que font, sous les chéchias, des rangées de gamins à la mine éveillée, à l’oeil vif, est pour réjouir le coeur des personnes imbues d’un aveugle respect pour l’instruction populaire. Examinez les cahiers. L’écriture est généralement bonne : les caractères arabes tenant du dessin, sans peine ils s’assimilent les nôtres. Souvent ils manifestent des dispositions pour le calcul. Mais à tout prendre, ces établissements sont des volières de perroquets. La faute en est-elle au caractère de la race tel qu’il s’est fixé depuis l’écroulement de la civilisation hispano-mauresque? Intelligente assurément, une paresse atavique, une constitutionnelle incapacité d’effort lui barrent à certaine limite bien vile atteinte le champ du savoir. On le constate dans les lycées algériens. Les élèves indigènes, de développement précoce, se distinguent tant que l’assimilation des matières enseignées n’est affaire que de facilité et de mémoire. A l’âge où l’on commence à mettre de soi-même dans l’étude, c’est- à-dire à apprendre avec fruit, leur esprit se noue. Rares ceux qui poursuivent leur éducation dans les medersa : l’école supérieure musulmane. Officiers, ils arrivent par le rang, très exceptionnellement capables d’obtenir le troisième galon. Le cas du colonel Ben-Daoud a été unique. Dans les emplois publics qui leur sont ouverts, ils demeurent en sous-ordre. Quant aux


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