glorieux et sanglants sacrifices, trop dédaignés aujourd’hui. Et l’épopée ne sera pas close peut- être au temps proche où se célébrera son centenaire, car il reste à soumettre ces nomades ténébreux et rapacos, Touareg, Chaâmba, rideau fuyant à travers lequel le littoral tend la main à Tombouctou, au Tchad, coeur du bled-el-soudani pays noir. À sa dignité de métropole Alger n’a que perdu. On se doit consoler de vieillir en constatant combien chaque année de ce qui se dit le progrès apporte à l’héritage ancestral de vulgarité, de laideur. Au train dont cola marche, mieux vaut s’en aller avant qu’il n’en reste plus rien. Notre époque cependant s’en targue-t-elle assez, d’être artiste... Mot dont on abuse au point de le faire prendre en aversion-. Aimez-vous l’art, on en a mis partout — jusque dans le manche de votre parapluie, le couvercle de votre soupière. Vraiment, l'homme en ajoute trop. Tellement que la nature n’est plus nulle part. On ne voit que lui, et c’est moins beau. Mais il y a pire. Certaine forme de l’art, non la moindre, échappe entièrement à sa collaboration : le « caractère », mot imprécis pour ce qui est l’imprécision même. Le caractère, -arrangement spontané des choses de la nature avec celles de l’humanité, combinaison fortuite à ce qu’il semble, et en vérité régie par les lois indéterminées d’une esthétique supérieure. Il nous appartient de dégager le caractère. Mais dès que nous y portons la main, c’est pour le détruire. Que dire alors de ces interventions brutales que sont les bouleversements utilitaires ou sanitaires?... Plus néfastes encore les embellissements démocratiques. Au Musée des Antiquités de Mustapha se voient de précieuses quoique mauvaises estampes montrant de3 aspects de l’Alger de 18-30. C’est pour donner envie de pleurer sur ceux d’aujourd’hui. Descendons sur le musoir de la grande jetée. Tournons le dos à la radè et tentons de reconstituer par l’imagination la vieille cité mauresque. Assez nettement, au milieu des plâtras qui la noient, se dessine l’éventail renversé qu’elle formait entre les massifs remparts dont subsistent quelques fragments dégringolant en pente raide du pied.de IaKasba pour s’éployer sur la Marine, où présentement de larges boulevards incendiés de soleil se juchent par-dessus les voûtes- à arcades en bordure des quais affairés. On la distingue à ce qu’elle, constitue un massif compact de maisons étroitement pressées, aux terrasses imbriquées en façon des écailles d’une pomme do pin. Comme pour attester sa survivance, en protestation contre l’intruse dont les- cent bras l’étouffent, Al-Djezaïr se détache d’Alger par ses colorations propres. Phénomène dû sans doute aux différences de construction modifiant les jeux d’ombres. L’aube la teinte délicatement de turquoise et de corail, le midi l’enveloppe d’un blanc éblouissant, au crépuscule elle s’estompe dans une chaude vapeur d’améthyste. Hérissez-la de coupoles, de minarets à revêtements céramiques — elle no possédait pas moins de cont-soixante koubas et mosquées. Ceinturez la de murailles crénelées, de bastions massifs, de tours farouches. A la place de cette tache- d’huile que font les maçonneries la débordant de toutes parts, ne voyez que rochers abrupts, aux tons d’onyx et de porphyre, où s’accrochent orangers et citronniers aux fruits d’or, pins aux Touges écorces, oliviers au feuillage pâle, mimosas et magnolias, poivriers et grenadiers, aloès et cactus. Semez ces collines de blanches villas enfouies dans des verdures sur lesquelles une flore de serre chaude met son éclat et sa grâce. Jetez par là-dessus ce qui demeure immuable, le bleu de lapis du ciel répondant à celui, d’indigo, de la mer, tout embus d’or. N est-ce pas un décor do rêve? 11 n’en reste que dos débris. Le site toutefois ne pouvait être massacré. C est une des plus bellos qui soient, celte ample baie qui se recourbe en faucille depuis la tour espagnole du Peñón jusqu’au cap Matifou — altération fantaisiste de TamenVfouss,<i\a. Main droite»—dans le cadre sévère du massif kabyle érigeant sur deux plans ses crêtes fières et fines. On ne sait à quelle heure du jour elle donne aux yeux le plus de joie. Est-ce au moment où, la dernière étoile se mourant dans des iridescences d’opale au-dessus de la nacre fuyante du flot, le soleil monte derrière les profondeurs violettes, enturbannées de neige, les éclaire en mauve, qui passe à la fleur de pêcher, pour tout d’un coup s’épanouir en pourpre triomphant? G’ost alors la splendeur de la lumière qui s’épand’ sur la rner et les monts. Et dans l’ardente vibration de l’air, où dansent des poussières brillantes, s’atténue ce que présente de disparate et d’inharmonieux la ville éclatant en blancheur. Est-ce vers le soir, lorsque le couchant qui, sur les coupoles byzantines de Notre- Dame d’Afrique, déroule ses somptueuses écharpes orangé, colore l’orient de certain glacis gorge-de-pigeon semblant le reflet d’un parterre d’hortensias roses et bleus? Les barques de pêche alors, sous blanche voile latine, par centaines cinglent vers le large, et elles semblent un vol do mouettes fuyant dans cette atmosphère irréelle. 0 <? ' 9 Fût Alger sans autre mérite, Alger conserverait une valeur documentaire. Quelques lieux caractéristiques marquent comme témoins de sa sinistre histoire. Entre la place du Gouvernement et la Mosquée de la Pêcherie — qui, édifiée au xvii' sièclé par un captif chrétien, affecte curieusement la forme de croix latine, avec nef, transept et abside — cette paisible placette d’où partent des guimbardes desservant la banlieue, c’est l’ancien Badistan, le marché aux esclaves. Là se tenait l’ignominieux trafic de chair blanche dont vivaient la magnificence et la débauche de cette oligarchie de forbans. Encore que ce ne soit plus qu’un emplacement, une émotion y naît de ce qu’il y a coulé de larmes de rage et de désespoir. Durant les trois siècles qu’exista la Régence, combien de chrétiens tombèrent au pouvoir de ces ccumeurs de la mer? L’année 1582 en compta plus de dix mille. Dans un seul trimestre de 1661, trente-trois bâtiments français et hollandais sont amarinés par eux et, en une seule année, rien que les Anglais en perdent trois
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