maître qui l’a recueilli abandonné et mourant dans le bled, sur l’étrangère en qui il devine une amie. Le musulman ne maltraite pas les fidèles, gardiens de ses troupeaux et de ses tentes ; mais jamais ne leur donne une caresse. Celles qu’il reçoit de moi rend celui-ci rêveur. Vaste plaine baignée de soleil. La roule franchit sur un pont monumental le Chélif dont le lit, digne du Rhône, se creuse d’un cours analogue à celui de la Bièvre. C’est assez pour faire de ces terres rouges un grenier. Les fermes rencontrées sont opulentes et riantes entre leurs clôtures de roseaux et de tamaris, ombragées parfois de micocouliers leur donnant l’aspect des métairies provençales. Mais bientôt c’est la montée par des coulées schisteuses, à travers une brousse de genévriers et de câpriers, de lentisques, de palmiers nains. Les grappes tristes des asphodèles se penchent sur ces grosses touffes vertes de longues feuilles rubannées et luisantes qui, si elles ne sont pas des aspidistras, leur ressemblent comme des soeurs. Eboulis couleur de cendres, voire de suie; par places, sur les pentes, maigres boisements de pins d’Alep, de chènes-liège. De col en col, de ravin en ravin, on longe de petits oueds encaissés au fond desquels des lauriers-roses boivent la vie. En palier on fait bien ses vingt à l’heure, vitesse qui aux côtes s’abaisse à celle d’un trotteur poussif. Mais rien ne presse. L’air est tiède, le ciel exquisement pur, la lumière s’enveloppe d’un mauve tendre. Un arôme pénétrant flotte dans l’air : celui des cistes, qui du large, révèle la Corse. Aux relais la diligence alterne de deux jours l’un avec l’autobus — où l’on stoppe pour rafraîchir le moteur, bien qu’à pareille allure il n’en ait guère besoin, les gros zouaves descendent prendre un verre. Au « Café du Vent », seuil très découvert à l’altitude de mille mètres, un garde forestier indigène avec qui j’avais lié conversation tient à m’offrir une tasse, politesse que je lui rends au « Camp des Scorpions ». De petits douars fort misérables se terrent au fond des ravins, gourbis se confondant avec les broussailles. Notre arrivée est attendue par quelques yaouleds guenilleux qui en espèrent vaguement on ne sait quel profit. Ils ne demandent rien. La mendicité arabe est généralement muette, ou à peu près. Je note l’imploration patiente des grands yeux doux dans un front obtus, tatoué de la main de Fatma, qu’attache sur moi une pauvresse pas même voilée. Un enfant quasiment nu, se tenant à peine sur ses jambes, s’accroche aux plis du seroual de calicot en loques, tant bien que mal retenu aux hanches par un haillon rouge. Emmailloté de chiffons, le dernier-né tire désespérément sur un sein tellement desséché qu’on se demande s’il y trouve sa pitance. Leur aîné, dans une gandoura sale sauvegardant imparfaitement la décence, montre en attitudes sculpturales un admirable corps d’éphèbe, fin, nerveux, d’un chaud ton bistré. Teniet-el-Hâad, élevé de 1.200 mètres sur une croupe de l’Ouarensenis, doit sans doute son nom « le Col du Dimanche » à ce que le marché, fort important en céréales et bétail, s’y tient le septième jour. A soixante kilomètres de la ligne Alger-Oran, c’est un centre commercial, en grande majorité peuplé d’indigènes. Néanmoins, n’étaient les burnous, on dirait un gros bourg de chez nous. Sur un mamelon isolé, le village nègre, sur un autre, le bordj militaire qui avait été construit pour surveiller les communications du Tell, aux limites duquel nous sommes, avec la région des steppes. Les bâtiments de la commune mixte, où je reçois une cordiale hospitalité, constituent, comme tous leurs pareils, une façon de petite forteresse. Grande cour où se trouvent les bureaux, les écuries, le corps-de-garde, une autre où s’ouvrent les appartements. Derrière, un jardin, petite oasis de fraîcheur dans celte cuvette argileuse, nue comme la main hors le temps des moissons. Les administrateurs portentun élégant uniforme, montent beaucoup à cheval, parlent arabe, cela va de soi, ainsi que kabyle, gouvernent leurs territoires assez militairement, quoique civils, ne gobent pas du tout les caïds et se montrent très accueillants aux touristes. Nombre d’entre eux sont de famille algérienne. Cela semble les qualifier pour l’emploi : « nourris dans le sérail »... A la vérité l’antagonisme inévitable entre le colon et l’indigène les prédispose peut- être à une insuffisante bienveillance pour leurs administrés. Est-ce un bien, est-ce un mal ? II y a, dans ces petites villes, tout un monde blédois : fonctionnaires des affaires indigènes, des forêts, des ponts-et-chaussées, des finances, médecins de colonisation. La sortie de la messe à Téniet est un Longchamp au petit, tout petit pied. Intimité facile, presque obligée pour ne pas périr d’ennui, pénurie totale de distractions extérieures, excès de l’élément masculin qui, sur le terrain spécial aux célibataires, ne dispose que de ressources lamentablement médiocres, tout cela en fait le paradis des filles à marier. Souvent jolies, l’origine de la plupart des immigrés étant dans ces races méridionales où le type féminin s’avère régulier et fin, elles doivent aux circonstances particulières de l’existence coloniale, plus libre, plus en dehors, de la vivacité, de 1 agrément, un sens averti des choses. N’en déplaise à des dénigrements systématiques, elles font en général de bonnes épouses, d’habiles ménagères et ont beaucoup d’enfants. La vie du bled est plutôt terne. Mais on est les maîtres, c’est-à-dire à peu de frais a quelqu’un ». Et cela se tire en somme comme ailleurs. 9 ç 9 Face à Téniet, une haute-crête aiguë se découpe en vert sombre sur l’azur du ciel; la Forêt des Cèdres, dont la masse ténébreuse couvre les deux versants d’un rameau de l’Ourensenis, qui lui doit son nom : Djebel-el-Meddad. Non pas la seule de l’Algérie, mais la plus belle et la plus vaste : près de qualre mille hectares. J’y monte à cheval, mon mokhazni d’escorte assis jambes croisées au-dessus des bagages dont est chargé le mulet de bât. Pour demeurer des heures durant dans une posture qui, au bout de quelques minutes, nous donne la c.rampe, les Orientaux ne doivent pas avoir l’articulation du genou conformée comme la nôtre. Un indigène le
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