mulet Fort rétif. Ce jeune Mozabite a ma foi! si fière mine arabe sur sa selle toute brodée d’argent, que j’en conçois des doutes propres à offenser la vertu de sa mère. L’austérité ibâhdite interdit de nous offrir du vin. L’eau est exécrable et abominablement aigre leur raïb, sorte de lait caillé. A Beni-Isguen, la règle religieuse proscrit même l’usage du tabac. Un agha de mes amis à qui, comme on me l’avait dit, je le répétais, m’a répondu par un accès de douce hilarité. Je n’y tenais nullement, ayant des raisons de ne pas prendre au sérieux un puritanisme qui défend aussi de porter de la soie, que sais-je encore? Pour se documenter à cet égard, il suffit d’une promenade dans le quartier des Ouled-Naïl à Ghardaïa. 11 se trouve en dehors des portes, touchant au très petit faubourg européen tassé en bas du bordj : la poste, l’auberge décorée du nom d’hôtel, les écoles française et israélite, quelques maisons à l’usage des officiers. N’en inférez point que celte industrie doive sa prospérité au très faible élément que lui fournit notre civilisation éminemment corrompue, comme chacun sait. Et quand cela se dit en pays musulman, c’ést plutôt drôle. La débauche indigène y pourvoit copieusement — sans insister sur certains trop jolis ophèbes dont l’un, comiquement accoutré d’une redingote noire par-dessus la culotte citron et le gilet soutaché pistache, offre inlassablement ses services, en faisant valoir sa qualité d’ancien élève du lycée d’Alger. Ces dames, selon l’us de la profession, se tiennent à l’étalage sur leur seuil, latouées, fardées, très parées en mel- hafa de gaze lamée et fourreau de soie éclatante, coiffées de tiares en orfèvrerie, immobiles, quasi hiératiques, cigarette aux lèvres, attendant le client dans ce détachement dédaigneux de tout marchand oriental. J’en remarque une qui, consciente de ce qu’elle a de mieux, assise sur une chaise, sa robe troussée aux genoux, exhibe une paire de jambes assez bien faites, fâcheusement gainées de bas de gros coton d’un rose agressif. Un joyeux s’efforce de lier partie. Insensible à ses gestes éloquents, elle demeure de glace. En vain lui montre-t-il le contenu de son porte-monnaie. Elle secoue la tête avec mépris. Ce n’est évidemment pas la garnison qui leur paie les bijoux dont elles s’adornent. Car elles en ont encore quoique, cédant aux exhortations, quelque peu impératives sans doute, des autorités militaires, elles aient récemment, le coeur bien gros, porté au Trésor leurs colliers de louis et de napoléons en échange de papiers bleus dont ne leur apparaît point l’équivalence. El At’euf est la doyenne des sept villes, née l’an 400 de l’hégire. Pour quelque deux milles croyants, une couple de mosquées, ce qui signifie deux çofs auxquels leur inimitié ne permet pas de prier côte à côte. Son oasis, très ensablée, est protégée par une enceinte à créneaux. Une boucle de l’oued l’enserre, que double une ceinture rocheuse formant cirque clos où l’on n’accède que par deux cols. A Beni-Isguen, peuplée et riche, les murailles sont de belle et bonne maçonnerie moderne. Contre qui, ce luxe de défenses?... Ils vous affirmeront qu’elles visent les Chaâmba. Eh quoi! la France n’est-elle pas là?... Sans doute. Mais qui donc, hors Allah (l’invisible, l’intangible, sans forme, sans couleurs, sans limites, Il est le Seul), qui donc sait ce qu’il peut advenir? L’essentiel c’est qu’à l’occasion elles ne servent pas contre nous. Les Mzabiles sont des renards apprivoisés : gare à la basse-cour. Sur le plateau qui couronne l’amphithéâtre se dresse une tour en pisé et curieuse charpente, mesurant 80 pieds en hauteur et 40 de circonférence. Reste des anciennes fortifications, en un temps de suprême péril elle avait été construite en une nuit par le pouvoir miraculeux d’un saint personnage. Je félicite les notables du caractère sacré de leur ville. Pour ne pas demeurer en reste, je leur parle de la cité du grand marabout chrétien. Bien qu’ils m’écoutent avec une curiosité attentive, je suis sans illusions. Ce que je leur dis des merveilles de l’Urbs, des splendeurs de la basilique vati- cane ne les frappe aucunement. Cette dure fournaise, cette aridité farouche, ces misérables conglomérais de boue sèche et de plâtras poudreux, c’est à leurs yeux la plus belle patrie du monde. Si lesMzabites savaient le lalin, modifiant à leur usage l’orgueilleux axiome hongrois, ils diraient : « Extra « Mzabum » non est vita; si est vita, non est ita ». 9 Comment nier l’attrait de ces âpres solitudes? Je voudrais m’y enfoncer plus avant. Emchi! emehi!.'. Avec devant soi ces étendues qui semblent sans bornes, il n’y a pas de raison pour s’arrêter. Une invitation me tente, à Ouargla, la métropole — mot ridiculement inadéquat — des tribus châaamba. Piste si précaire pour l’automobile qu’on me conseille le cheval, en trois étapes. Avec l’empereur Maximin les légions étaient allées jusque là pour forcer dans leurs repaires les Gétules farouches. Dans l’oasis de N’gouça on a découvert une inscription romaine. Subsislera-t-elle aussi longtemps celle qui, à Ouargla, immortalise les victimes du désastre de 1881? Il eut lieu à quelque deux cents lieues de ce poste avancé, vers l’ouest, entre El-Go- léa et In-Salah. La plus perfide, la plus lâche des trahisons l’avait préparé. Au point d’eau dit « le Lac vaseux », la portion principale de la colonne — mission, ne l’oublions pas, toute pacifique — est assaillie par deux à trois cents cavaliers à méhari, des amis de la veille, en qui Flat- ters avait trop mis sa confiance. Au même moment on pouvait lire dans la Revue des Deux Mondes : « Il est appelé par les Touareg Hoggar, assuré des bonnes dispositions des Adjzer... Son expérience a démontré l’axiome depuis longtemps formulé que cent hommes bien armés peuvent parcourir le désert sans avoir rien à craindre. » Si d’aussi téméraires affirmations ne comportaient des conséquences tragiques, ce serait drôle. La littérature s’évertue à peindre les Touareg sous des couleurs romantiques de chevaleresques guerriers, encore que voleurs de grand chemin. N’est-ce point à regret, nous dit-on, qu’ils ont adopté le fusil, déclarant « traîtresse » une arme qui tue à distance? Et ils se vantent de ne connaître que
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