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trois maîlres : Dieu, l’honneur, la vérité. Tel n’est pas l’avis de ceux qui pensent que le chef a’zdjar Ikhenoukhen, lequel a rejeté sur les Ahaggar la responsabilité du massacre, en était le principal auteur. Par les récits de quelques survivants indigènes on sait que « jcs hommes en pantalon rouge » se battirent comme des lions. II en est un qui, une cuisse traversée en irois endroits, l’autre en deux, la tête fendue d’un coup de sabre, faisait encore tète. Touché par tant de vaillance, un chef, assure-t-on, le sauva. Etait-ce le colonel? Certains l’ont prétendu. D autres ont déclaré lavoir vu pourfendu de l’épaule à la ceinture. Nul n’a affirmé sa mort. Est-il vrai que, quatorze ans plus lard, quatre Européens étaient depuis longtemps captifs dans une tribu lointaine? L’officier interprète Djebari qui, déguisé en pèlerin, a cherché leurs traces, y croyait dur comme fer. Même les aurait-il aperçus, sans pouvoir leur parler. L’un d’eux, selon son assertion, étant toubib, il l’identifiait avec le docteur Guiard, compagnon de Flattèrs ainsi que le capitaine Masson et l’ingénieur Roche. N’oublions pas leurs noms. Ces mystères, souvent forgés de toutes pièces par l’imagination surexilée, prenant des indices pour des certitudes, échafaudanl sur une tête d’épingle d’ingénieuses hypothèses, renferment presque toujours une paille de la taille d’une poutre. Est-ce vraisemblable que, possédant de tels gages, ces nomades, chez qui la cupidité est passion dominante, ne les eussent point mis à rançon? Objection à quoi les partisans de la survivance ont répondu que nos compatriotes auraient refusé de quitter d’aussi aimables gens... Mieux vaut après tout entendre ces choses qu’être sourd. Quant à 1 autre fraction de la colonne — la fourberie des guides l’avait coupée en deux — son sort fut épouvantable. On en tient le détail des dix « hommes en pantalon court » qui y échappèrent. Ils étaient quarante et seize Français, commandés par le lieutenant de üianous. Leurs chameaux volés, presque sans eau et sans vivres, quarante trois jours durant iis marchent, sous le soleil de feu, vers Ouargla — le salut — finissant par manger de l’herbe, par boire leur sang et leur urine. Si redoutables encore cependant que n’osent les attaquer de front ces grands guerriers bronzés, sur leurs montures rapides, à qui donnent une apparence moyenâgeuse la lance, le bouclier, la coiffure surmontée de plumes, le lil'hâm, ce voile noir les masquant comme la visière d’un casque. Ils suivaient à la piste, hyènes en quête de cadavres. On a contesté l’épisode des dattes offertes à ces affamés, chargées d’un poison étrange qui, outre de graves désordres physiologiques, provoque des accèg de frénésie, après quoi seulement ils auraient risqué le combat. Quoiqu’il en soit, c’est mourant déjà d’on ne sait quel mal que le lieutenant tomba en brave, les armes à la main. Quelque temps encore les autres traînèrent leur misère atroce, s’entretuant pour se dévorer. Ainsi périt le dernier Français, maréchal-des-lo- gis Pobéguin, assommé à coups de matraque, puis dépecé en quartiers par un boucher kabyle... Lorsque sur les bordjs du désert, nous voyons flotter les trois couleurs, en l’honneur des héros morts pour elles, saluons-les bien bas. Aujourd’hui, au prix seulement de quelque endurance, je pourrais, simple femme, avec une faible escorte, suivre cette voie douloureuse. Et d’El-Goléah on me tend la main. Mais la vie est contrariante. Elle est brève aussi, et trop remplie. A regret me voici donc roulant vers le nord. J’ai quitté Ghardaïa par un soleil implacable, découpant comme à la pointe sèche l’ombre portée des grands blocs erratiques, témoins millénaires du cataclysme qui a fait de la Ghebka un sépulcre. Dans la région des dhayas le feu du ciel s’éteint, de lourds nuages s’amoncellent. Une chape de plomb écrase le désert. La bise s eleve glaciale et bientôt amène une trombe de grêlons gros comme des cacaouelles, meurtrissant le visage. Le chauffeur se laisse couler au fond de la voiture : ses doigts gourds refusent de tenir le volant. Recroquevillée sous ma mince fréchia tunisienne, eu claquant des dents je médite avec amertume le sage avis méconnu de ne pas voyager au Sahara sans une peau de bique. Cependant, je ne suis pas une m’slem, moi une résignée. A l’estime d’Amar, le prochain point d’eau n’est guère éloigné que d’une vingtaine de kilomètres, citerne accostée d’un café maure. Je le conjure de faire un effort. Profitant d’une accalmie, il remet en marche. Bleus de froid, nous couvrons une distance qui me rappelle les « petites lieues » de Normandie. Enfin nous voici jambes croisées devant un feu de broussailles. Tandis que le vieil Arabe édenté, yeux chassieux, barbe de patriarche, prépare le café, je me remémore la fâcheuse notoriété de Nili. Voici une couple d’années peut- être, en ce lieu la diligence fut attaquée, pillée, deux Mozabites tués. Origine d’une grande querelle entre un puissant aghaet un riche marabout. L’agha jurait sur la barbe de son père que ses gens étaient innocents comme l’enfant nouveau-né, tandis que le marabout en savait long. Le marabout attestait Allah (Lui seul est Grand) qu’un mot de l’agha suffirait pour livrer les coupables. Des sceptiques ont suggéré un troisième larron : le concurrent indigène du concessionnaire des messageries postales. Peut-être. Mais pourquoi chercher à savoir? En Algérie ce genre de curiosité est si rarement satisfait. Le ciel demeure gris. Que sous cette livrée de cendres le désert est lugubre. De mon voyage plusieurs jours durant j’ai gardé en souvenir une douleur aiguë, me privant de l’usage de ma main. Juste châtiment de mon incrédulité quand on me disait les nomades sujets aux rhumatismes. Le Targui s’en défend de son mieux en ne se lavant jamais. L’eau d’ailleurs, chose sainte, ne saurait être avilie à aussi bas emploi. Comme la cotonnade indigo de sa tunique et son pantalon déchargent sur la peau, il a le corps tout bleu, ce qui, d’abord, lui paraît fort joli. Pourquoi pas? Et les femmes se teignent en jaune avec de l’ocre. Leurs enfants devraient venir au monde verts. Mais en outre, affirment-ils, cette coloration du pigment les préserve des refroidissements. Au fait, puisque le blanc n’est pas conducteur... Et qui donc ignore l’influence des rayons ultra-violets? Je ne songe pas à me plaindre de cet épisode. Car un peu plus loin nous recontrons une


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