Bravant le rapport des épithètes, on ne saurait qualifier l’ombre du palmier que de limpide, transparente. Elle fait de son mieux pour abriter, quand même épuisés de chaleur, figuiers, amandiers, pêchers, abricotiers : ces mechmech aux fruits pas plus gros qu’une mirabelle. Et bien vite sont réduits sur souche à l’étal de « malaga » les délicieux raisins produits par les pampres s’accrochant à ces arbres, aux pieds desquels prospère un arbuste analogue au troène : le lawsania inermis, qui donne le henné. Telle quelle, pour cette ombre, le palmier est sacré, il est divin. On en voit de « marabout », reconnaissables au chiffon noué à la base de leur panache. Pour nos habitudes, essence ornementale, au désert il constitue la ressource absolue, qui seule le rend habitable. Vous promenant dans une oasis, gardez-vous bien d’endommager ses surgeons : \Qfecila qui, transplanté, prend nom liochana. Dès qu’un âne peut passer sous ses palmes, il est promu djebbara. Dans sa huitième année il devient fructifère. Il atteint la hauteur de nos maisons à cinq étages. Nul aquilon ne peut le déraciner, car pour aller puiser profondément le suc vital, il émet par milliers des radicelles adventives le liant aux entrailles de la terre. Son stipe fait de fibres entrelacées résiste aux plus terribles de ces rafales qui transportent les dunes. Flexible quasi autant que le rotin, comme lui imbrisable, il est ployé parfois jusqu'à effleurer le sol de sa cime et se redresse, hautain. Sa résistance est extrême. Exigeant pour la maturité de ses fruits des températures torrides, il supporte parfaitement ce bref et dur passage de refroidissement nocturne que, l’hiver, le rayonnement du sable fait descendre jusqu’à — 6° alors qu’à midi le mercure accusera + 25 à 30. Et pourvu que ses racines trouvent de l’humidité, toute chargée qu’elle soit de sel nocif aux autres végétaux, les + 45 à 50° des jours d’été ne dessèchent point ses rameaux d’une courbe si élégante et noble. En présence de tels mérites, la poésie orientale a attribué au palmier le caractère d’un être animé. En même temps que l’homme, il a été créé le sixième jour. Chacun est personnellement connu. Il fait partie d’une famille. Des gens parfois en possèdent un seul. Ne souriez point : ceux de certaines variétés S vous douteriez-vous que les yeux avertis en distinguent plus de cent?||j- valent jusqu’à un millier de francs. En plein rapport, il rend dans les trois douros de revenu et paie une taxe de trente à quarante centimes. On ne s’imagine pas tout ce que donne un palmier. Ce fruit que, dans l’innocence du jeune âge, je croyais provenir de chez le confiseur, c’est le soleil qui l’enrobe de caramel. Il en est tellement chargé que, la récolte faite, on l’entasse au haut d’un caniveau par où s’écoule l’excès. Ce qui pour nous n’est qu’un dessert, au Sahara constitue l’aliment primordial : le pain. A la vérité n’est-ce pas celle qu’exporte, la degla, datte muscade, mais une espèce plus petite, moins sucrée, assez âpre et très féculente. Un nomade qui en a son capuchon rempli couvre à pied comme à cheval ou à méhari des distances incroyables. Et certains sujets portent des régimes pesant vingt kilos. Est-ce tout? Non. Le jus de dattes fraîches est employé pour tanner ce cuir de chèvre, si souple, teint en rouge avec des baies d’acacia épineux dit horrida, que nous appelons maroquin et les Arabes filali. Concassés et pressés en tourteaux, les noyaux offrent au chameau une nourriture dont il est très friand. La sève de l’arbre donne le lagmi, sorte de bière laiteuse et fade qui plaît à ces estomacs sevrés d’autres boissons fermentées. Sèches, les palmes font des nattes* des clayonnages. Avec leurs fibres on tresse des cordes, des nattes, des couffins. Cette fine bourre soyeuse dont sont ouatées les écailles fait du crin végétal. Les troncs enfin des mâles improductifs — le palmier est dioïque — se débitent en demi-rondins, seule charpente des constructions sahariennes. J’en oublie peut-être. Le palmier en vérité, c’est le « Bel-Men » du Bourgeois gentilhomme... Ces oasis sont cultivées par des Soudanais de belle race. Légalement affranchis par l’annexion, dans la pratique ils demeurent esclaves. Au vrai où iraient-ils? L’esclavage d’ailleurs, chez les musulmans, a toujours été assez paternel. Sorte de parents pauvres, ils contribuent même parfois, je l’ai insinué, à l’accroissement de la famille. On en voit cependant de ré- fractaires, au regard de qui l’attitude des autorités n’est pas très nette. x\insi certaine négresse venue chez les Soeurs Blanches pour se faire panser un très vilain ulcère, et s’y trouvant tellement bien qu’elle refusa de réintégrer le domicile de son maître. Il la réclama et elle lui fut restituée. « Pas d’affaires » : trop souvent le mot d’ordre au Sahara. Et quoique le militaire, par définition, ne rêve que plaies et bosses, les « biouros » savent se montrer très débonnaires. Cette femme s’étant enfuie derechef, on finit par la laisser tranquille. Elle demeure chez les religieuses, servante inutile et cabocharde, satisfaite de son grain de mil et de quelques guenilles, moyennant qu’il y ait beaucoup de rouge. Des plus nonchalants est le labeur de ces noirs vigoureusement musclés. Sous ce soleil qui, l’hiver, leur suffit à peine, ils émulent le joli lézard de palmier corseté de satin gris argent, le dhobboe- ou si vous préférez lacerla uromastor — dit fouette-queue. D’une détente de cet appendice, que hérissent de rudes piquants, il coupe en deux son ennemie personnelle, la redoutable vipère cornue. Il présente cette particularité d’exprimer ses sentiments, je ne saurais dire lesquels, en se gonflant puis se dégonflant avec bruit. La quasi unique occupation des nègres du Mzab étant le puisage de l’eau, lorsque par rare fortune ils s’en trouvent dispensés, ce leur est grande allégresse. Certain soir je m’étais attardée sous ce ciel de velours d’où descend une voluptueuse douceur, me grisant du parfum violemment capiteux des fleurs de cassie dont les grêles verdures s’efforcent d’égayer la base du bordj. Soudain des you-you aigus déchirent la nuit, avec basse continue de tam-tam, et le coin d'où ils proviennent s’illumine de feux de couleur. Bamboula pour célébrer quelques gouttes de pluie tombées vers la fin du jour. Gouttes émormes, dont chacune aurait rempli un dé à coudre, mais au total la contenance d’une carafe. Cela me semblait ainsi. J’en jugeais mal. Car au
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